Des clics et des claques au Royaume des dingos
A l’instar de nombreux jeunes hommes de sa classe sociale, Roméo Elvis incarne à merveille l’archétype occidental de l’imposteur, de l’hypocrite et du calculateur ; rebelle de canapé d’un ennui mortel, qui ne vit ni selon l’histoire ni selon ses principes, mais selon le discours que son appétit le pousse à tenir.
Révélatrice, l’affaire “#Balancetonrappeur” a démarré par des plaintes à l’encontre de Moha La Squale, individu accusé par trois femmes d’actes de séquestration et de violences, ce que la propre compagne de Roméo Elvis avait abondamment relayé.
Douloureux renversement! Voilà qu’à la suite de La Squale, notre piètre rappeur est accusé d’avoir agressé sexuellement une jeune femme, pour avoir voulu extorquer la plus-value esthético-sexuelle qu’il estimait être en droit d’obtenir. Malheureusement pour lui, la réclamation de son “dû” était exprimée selon le code de l’ancienne domination masculine sur la mondanité culturelle, caractérisé par le droit de cuissage bourgeois, qui autorise et absout la “promotion canapé”, comme les tripotages confus et les abus graveleux. Des aveux ont été exigés, une confession et un repentir ont été exprimé par le concerné, mais la flagellation paraît encore bien fade à certaines, pour lesquelles les choses ne doivent pas s’arrêter en si bon chemin. Et à l’extrême inverse, certains hommes expriment, sur Twitter, une certaine jubilation, et vont jusqu’à interpeller directement la sœur du rappeur, la chanteuse Angèle.
Ceux-là crurent pertinent d’ordonner à l’égérie néo-féministe de réagir à l’affaire, via une foule de messages, trépignants de rancune. Ainsi fut-elle poussée à se positionner à travers toute une série de clics et de tweets sur cette plateforme dont le manque de finesse est proportionnel à la mentalité de meute et au goût du lynchage qu’elle suscite chez ses utilisateurs. La cause de cette stupide injonction à la justification se trouverait, selon ses instigateurs, dans le magistère moral qu’occupe la chanteuse au sein de la mouvance “#Balancetonporc”. En effet, nombreux sont ceux qui se souviennent de la diffusion sur nos ondes radiophoniques de “Balance ton quoi ? ”, chanson au clip foireux dont le potentiel comique est inépuisable.
La protagoniste principale nous y apparaît tour à tour avocate, juge, éducatrice et cheftaine du sympathique camp de réinsertion de la “Anti-sexism Academy” (in english please!). Notre artiste y apparaît toute en majesté vengeresse et ingénue, se destinant avec un enthousiasme teinté d’une moue boudeuse à passer la masculinité toxique au rouleau compresseur de “l’empathie” et de la “communication”. Et patatras! Les masculinistes tiennent enfin leur revanche! Comme les revirements de la fortune et les caprices de la mode idéologique sont cruels ! Voilà qu’après avoir été la figure de proue immaculée d’une libération de la parole féminine, Angèle est désormais polluée par les agissements de son frère, quand elle n’est pas carrément décrétée coupable par association.
De nombreuses féministes s’offusquent alors, à raison, de ce retournement accusatoire. Elles ne récoltent pourtant que les fruits des non-pensées qu’elles ont semées et du climat délétère qu’elles ont contribué à construire depuis une vingtaine d’années.
Prenons deux principes apparemment opposés. Premièrement, celui selon lequel une femme doit toujours se justifier des agissements qu’ont les hommes de son entourage envers elle (principe de contrôle sexiste classique). Deuxièmement, celui selon lequel le mâle c’est le mal, et ce mal est partout (principe féministe dit “radical”). Encore une fois, ces principes semblent d’une telle incompatibilité que leur expression simultanée est a priori profondément antagonique. Et pourtant ! Pour bien saisir la profonde complémentarité de ces deux thèses, il faut voir comment l’idée d’une masculinité toxique les traverse. Car nos amazones de la mondanité font bel et bien face à une toxicité, un empoisonnement subtil qui se diffuse de proche en proche : dans le couple, dans l’amitié et au bureau, jusque dans l’alcôve de la demeure familiale.
Face à la masculinité, nulle part où courir, nulle part où se cacher. Aucun sanctuaire n’est plus sûr chaque fois qu’un homme le pénètre, fut-ce de l’orteil. La profanation est immédiate. Et si une femme l’y laisse entrer ou, pire, qu’elle consent à la fréquentation de l’individu en question, elle est alors comme entachée de culpabilité, et contrainte à son tour à la repentance. Le plus beau demeure que cette sommation est portée à la fois par des machistes traditionnels et des féministes identitaires de la radicalité victimaire ! Pour ces dernières, la prudence, même accompagnée de distanciation sociale et de gestes barrières, ou même la simple ignorance, sont autant d’éléments qui ne peuvent suffire à sauver du Jugement celle qui fréquente un monstre à visage d’homme. La responsabilité est complète pour celle qui erre dans le compagnonnage d’une telle toxicité, car elle y expose ses sœurs. Alors, si la non-mixité sexuelle est une garantie de probité, de sécurité et d’étanchéité à la prédation, comment ne pas voir un parallèle avec l’imaginaire religieux, la non-mixité des prières et les voilements de toutes provenances?
Il n’est donc pas si contradictoire que certains nostalgiques patriarcaux soutiennent que les femmes doivent se justifier si elles ont fréquenté, fréquentent ou connaissent des violeurs, dans le même temps où certaines, soit disant “progressistes”, rappellent l’omniprésence diffuse, masquée et presque secrète de la prédation sexuelle masculine. Dans un cas comme dans l’autre, il incombe de soustraire le corps des femmes à l’irréductible pulsion prédatrice des hommes.
Pour les premiers, partisans du “Si ce n’est toi c’est donc ta sœur”, une femme jouit de sortes d’antennes, qui sont d’une telle nature qu’elle ne peut ignorer que “les hommes sont les hommes”. Par conséquent, si elle ne repère pas dans son entourage un prédateur, c’est bien qu’elle le tolère et qu’elle a consenti à le laisser s’approcher. C’est la logique de cet axiome que moque George Carlin dans un sketch célèbre sur le viol : “Eh! She was asking for it”.
Pour les secondes, l’homme est irrésistiblement porté par la “culture du viol” à la prédation sexuelle, cette culture étant, pour lui, une seconde nature. Il ne peut donc y avoir la moindre présomption d’innocence lorsqu’une femme affirme avoir été violée, étant donné que l’homme est structurellement et irréductiblement violeur, que ce soit en acte ou en puissance.
On voit comment il y a là une mécanique absolument complémentaire qui repose sur ces deux piliers idéologiques, historiquement réactionnaires dans l’imaginaire collectif, que sont les thèmes de l’identité et de la contagion.
En bref, grâce à ce psychodrame grotesque, un insupportable néo-féminisme embourgeoisé jusqu’au chignon s’est donc contradictoirement mais logiquement affirmé, une fois de plus, avec toute l’arrogance infantile de sa domination. Celle-ci reproduit un identitarisme masculin qui a de beaux jours devant lui tant il est précieux au néo-féminisme, qui a lui-même cruellement besoin de s’y opposer afin de se renforcer.
Enfin, le discours de la contagion revêt une place motrice au sein de toute la “cancel culture” qui vise à assurer son étanchéité et sa propreté interne à travers la formation de “safe spaces”. Des espaces qui ne peuvent advenir qu’en rayant d’un trait de plume, tout aussi énergique qu’illusoire, l’ensemble des discours qui lui sont contraires, et risqueraient de l’infiltrer, le polluer. L’annulation d’autrui s’effectue par son excommunication pure et simple, l’entre-soi sectaire dans le domaine du débat théorique ne traduisant finalement que l’entre-soi social du sectarisme économique.
Alors, toute cette frivolité, qu’en dire, qu’en faire? Au sujet de son camarade et ami George Politzer, George Cogniot écrivait “(…) George Politzer, c’est avant tout le Rire. Le Rire de défi, non pas du rebelle, mais du révolutionnaire, non pas de l’anarchiste, mais du marxiste qui se gausse des efforts du vieux monde pour échapper à la condamnation de l’histoire”. Il semble bien qu’il nous faille mieux en rire, et que ce vieux monde dont l’élite se débat dans des impasses sans queue ni tête est bien mort, en dépit de sa forme pseudo-permissive. Il est mort autant sur la plan de la création artistique que sur celui de la production intellectuelle, non pas en raison d’un supposé défaut d’intelligence de l’humanité actuelle, mais en raison d’une structuration de la production des divertissements qui ne peut aller que vers un affadissement dérisoire et massif de la création littéraire, musicale, plastique et cinématographique.
Face à cette dégringolade et cette avalanche de guignolades bientôt ringardisées par la crise, revenons-en donc aux bases et à des mots d’ordres d’une simplicité algébrique : casser la gueule aux capitalistes, paix dans les chambres à coucher et que crève le vieux Monde !