Ceux-là seuls ont assimilé l’essence de la doctrine de Marx sur l’Etat, qui ont compris que la dictature d’une classe est nécessaire non seulement pour toute société de classes en général, non seulement pour le prolétariat qui aura renversé la bourgeoisie, mais encore pour toute la période historique qui sépare le capitalisme de la « société sans classes », du communisme. Les formes d’Etats bourgeois sont extrêmement variées, mais leur essence est une : en dernière analyse, tous ces Etats sont, d’une manière ou d’une autre, mais nécessairement, une dictature de la bourgeoisie. Le passage du capitalisme au communisme ne peut évidemment manquer de fournir une grande abondance et une large diversité de formes politiques, mais leur essence sera nécessairement une : la dictature du prolétariat ». Lénine, l’Etat et la révolution.
On pourrait se contenter de casser sa plume et de soutenir que la lecture de Marx et Lénine suffit à comprendre ce qu’est une révolution et, en relation de conséquence, ce que doit être l’action de ceux qui lui dédient leurs existences.
Seulement, le temps de lecture et de recherche est un temps précieux, que nombreux ne peuvent s’accorder, non par choix mais par contrainte, essentiellement salariale.
Ce peut être donc l’occasion de résumer l’enjeu de la perspective révolutionnaire, l’essentiel étant, pour un marxiste, que la révolution est le processus au terme duquel la classe travailleuse produit la dictature du prolétariat.
Tout d’abord, une révolution n’est pas la suite d’une succession graduelle de réformes généreuses, même radicales. Ces réformes peuvent certes renforcer la conscience de classe, et sont également à soutenir chaque fois que les conditions d’existence des travailleurs peuvent être améliorées. Mais cela se fait simplement “faute de mieux”, dans l’attente de jours meilleurs, et en raison du fait que le contexte n’est pas favorable à un basculement révolutionnaire. Des réformes peuvent préparer à la révolution, mais elles ne sont pas pour autant la révolution. La révolution, quant à elle, dépend tout à la fois d’un moment politique, d’une césure économique et sociale, en un mot, d’une crise. Mais ce n’est pas tout. Si elle s’abandonne à la seule spontanéité, à l’horizontalité et au pacifisme, une révolution est condamnée à l’échec. Le mouvement révolutionnaire s’anéantit dans la désorganisation : soit il s’effondre sous la répression soit il se dissout lentement dans une forme intenable et ineffective.
Historiquement, jamais une révolution n’a pu s’incarner dans la durée sans être portée par une classe en armes. Cette classe nécessite par ailleurs d’être structurée au moyen d’une organisation disciplinée et forte d’un horizon de transformation clair et concret. Libérée de toute dimension infantile, elle a une conscience accrue des enjeux géopolitiques qui la cernent. Elle sait donc combiner la prudence à la fermeté, et privilégier le discernement tactique au dogmatisme abstrait, tout comme elle doit se prémunir des infiltrations extérieures et des subversions idéologiques contraires à ses intérêts. Elle se doit d’être également lucide sur le haut degré d’organisation, d’habileté et de nocivité de la classe capitaliste mondiale, son adversaire mortel. Cela est d’autant plus urgent à l’actuel degré de mondialisation du capitalisme, de développement des technologies numériques, comme des techniques de manipulation des masses, du raffinement de la propagande atlantiste et des multiples outils de répression au service du maintien de l’ordre actuel.
La violence est la vérité de la révolution dans la mesure où, dans le capitalisme et la société de classes, la violence fait partie intégrante de l’être social. Au dos du mur de la crise, la classe capitaliste mondiale ne comprend jamais qu’un seul langage, celui de la peur et du pur rapport de forces ; et elle se dévoile toujours telle qu’elle est secrètement: inhumaine et monstrueuse.
La prise du pouvoir d’Etat en vue de la réalisation du communisme est un chemin semé d’embûches et d’ennemis innombrables. Cela étant, l’impuissance à long terme d’un soulèvement non-violent est une donnée à assimiler pour qui veut sortir du romantisme révolutionnaire, ou du communisme de posture.
Il est d’ailleurs révélateur que l’impuissance du spontanéisme soit dépeinte avec une plus grande objectivité chirurgicale par Maxime Gorki dans son roman “La Mère” que chez bon nombre de marxiens et néo-post-alter-marxistes contemporains. C’est en outre une leçon de l’histoire dont devraient s’instruire ceux qui font mine de se convaincre, par exemple, que la Sécurité Sociale aurait été possible sans les FTP, sans la CGT, sans le PCF et sans l’Union Soviétique.
Une révolution ne peut se faire que sur le terreau concret de rapports de forces nationaux et internationaux tangibles. La lutte pour l’hégémonie culturelle est donc tout à fait cruciale, et même vitale, mais elle ne doit pas se prendre pour ce qu’elle n’est pas, car elle est une condition nécessaire mais insuffisante à l’action révolutionnaire.
Tout nécessaire qu’il soit, le travail théorique et son exposition consiste actuellement en une sorte de danse. Il ne viendrait à l’esprit de personne de vouloir construire un monde privé de danse. Mais pas plus ne vient-il à l’idée de qui que ce soit de vouloir faire la révolution en dansant.
Si les travailleurs veulent donc jamais prendre le pouvoir ce sera par les armes. Le reste, ce sera des livres, des conférences, des billets de blog, des vidéos Youtube et des lives Facebook.
Pièces annexes :
« On a accusé les communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité. Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut leur ravir ce qu’ils n’ont pas. Comme le prolétariat de chaque pays doit en premier lieu conquérir le pouvoir politique, s’ériger en classe dirigeante de la nation, devenir lui-même la nation, il est encore par là national, quoique nullement au sens bourgeois du mot. Déjà les démarcations nationales et les antagonismes entre les peuples disparaissent de plus en plus avec le développement de la bourgeoisie, la liberté du commerce, le marché mondial, l’uniformité de la production industrielle et les conditions d’existence qu’ils entraînent. Le prolétariat au pouvoir les fera disparaître plus encore. Son action commune, dans les pays civilisés tout au moins, est une des premières conditions de son émancipation. Abolissez l’exploitation de l’homme par l’homme, et vous abolirez l’exploitation d’une nation par une autre nation. Du jour où tombe l’antagonisme des classes à l’intérieur de la nation, tombe également l’hostilité des nations entre elles. » Karl Marx, manifeste du Parti Communiste.
« Entre la société capitaliste et la société communiste, se place la période de transformation révolutionnaire de celle-là en celle-ci. À quoi correspond une période de transition politique où l’État ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat ». Karl Marx, Critique du Programme de Gotha.
«Dans les chaires on ne cesse de parler de l’insécurité, de la fragilité, de l’instabilité des choses temporelles, mais chacun pense, si ému soit-il, qu’il conservera pourtant ce qui lui appartient ; que cette insécurité apparaisse effectivement sous la forme des hussards sabre au clair, et que tout cela cesse d’être une plaisanterie, alors ces mêmes gens édifiés et émus qui avaient tout prédit se mettent à maudire les conquérants. Cependant les guerres ont lieu quand elles sont nécessaires, puis les récoltes poussent encore une fois et les bavardages se taisent devant le sérieux de l’histoire .» G. W. F. Hegel, Principes de la philosophie du droit et science de l’État en abrégé