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Comment les Gilets Jaunes ont sauvé l’honneur

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Comment les Gilets Jaunes ont sauvé l’honneur

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Dans certaines couches sociales, et particulièrement en périodes d’accouplement mondains, défendre la France des fins de mois est une hérésie. Quid de la lutte des classes dans les conversations propres aux apéritifs dinatoires des vernissages? Que peut bien peser le sort d’un travailleur à une époque où la fin du monde est plus probable qu’une hausse du SMIC ? Que peut bien valoir le pouvoir d’achat de la classe laborieuse et ses consommations peccamineuses, face à la puissance de feu du Green-washing mondial, de ses légions d’agents promoteurs, adeptes d’un capitalisme vert et nature ?

La réponse est simple. Rien.

Souvenons-nous. Il y a presque deux ans, en novembre 2018, nous avons assisté avec sidération à la multiplication sur les réseaux sociaux à une avalanche de commentaires à l’encontre de ces malheureux et brouillons « Gilets-jaunes » qui, par manque de finesse et de conscience « écologiste », avaient eu le mauvais goût de se rebiffer contre le nouveau monde « En Marche ».

Les belles âmes naturalistes leur reprochaient notamment de sacrifier l’intellection de l’émission des gaz à effets de serres à la défense politique de leurs conditions matérielles de survie.

Mais qui peut encore accepter le sophisme ignoble selon lequel la protection de l’environnement et du milieu naturel serait nécessairement antinomique aux luttes sociales ?

Il va sans dire qu’un argument d’une telle imposture démagogique, péremptoire et gratuit, permet aux malthusiens-nietzschéo-gauchisants, si foisonnants et branchés de nos jours, de se trouver de bonnes raisons de ne pas soutenir un mouvement populaire contre la précarité, le chômage et la baisse du niveau de vie.

Ce recours malhonnête à la nature et à l’écologie pour mieux se boucher le nez face aux effluves prolétariennes est une manœuvre tragi-comique. Les flagorneurs du capitalisme vert ne cherchent qu’à se préserver les mains des salissures du « populisme » qui, en sa manifestation, bien que plurielle et souvent jugée incohérente, au regard des multiples décennies de piétinement des travailleurs français par leur classe dirigeante, est non seulement extraordinaire mais légitime.

Car le « populisme » [expression médiatique et confuse] portés par les esclaves modernes, ce n’est jamais que le retour du refoulé,le fruit pourri de la destruction de la classe ouvrière, l’événement historique qui vient enfin sanctionner la mauvaise conscience des Judas de la fausse gauche, celle de Bruxelles et des Golden-boys.

Nous disposons pour toute narration anti-gilets-jaunes, de deux discours dominants. Dans un premier temps, un discours de droite, mécontent, soucieux d’être à l’heure à l’ouvrage et de mauvaise humeur, convaincu que les gilets-jaunes, au fond, « gênent le peuple », « empêchent d’aller au boulot », « font chier le monde », alors même que les opérations de neutralisations de radars et de mise en gratuité des péages se sont démultipliées. Dans un second temps, et simultanément, un discours prétendument de « gauche », une deuxième droite, une caricature d’écologisme politique, qui s’insurge de toutes ses forces contre cette ignoble jacquerie fiscale, cette fronde sociale malvenue, ce refus populaire de voir son instrument de travail et de locomotion surtaxé par notre clique gouvernementale mafieuse au profit d’une improbable et indéfinissable « Nature ».

On a même pu voir défiler cette vérité facebookienne éternelle qu’il fallait graver dans le marbre d’or du mépris de classe le plus conséquent : « Quand on augmente les taxes sur le diesel de 1%, tout le monde est dans la rue. Quand la température mondiale augmente de 1%, tout le monde reste chez soi. ».

La dialectique de classe qui traverse ce genre de “post” n’est guère difficile à saisir.

Jadis, pour la bourgeoisie, il s’agissait de consommer pleinement, et à fond, le produit du prolétariat. C’est là l’origine du fameux « jouir sans entraves ».

Mais cette illimitation première entraîne une peur du manque, et une culpabilité de classe. Le désir est destructeur et, lorsque le libertaire s’en rend compte, il mute, devient puritain et politique, pour sauver le monde, et soigner ses névroses. C’est ce basculement qui explique le passage actuel du romantisme contre-révolutionnaire à la pudibonderie naturaliste et politique. L’exploitation y demeure le grand invariant.

Car dans les combats de demain, il aura toujours bon dos, le climat, lorsqu’il s’agira de mener une guerre d’extermination des pauvres.

Regroupons un moment, et de façon non-exhaustive, une liste de métiers comprenant les ambulanciers, les pompiers, les aide-soignants, les infirmiers, les aides à domicile, les cheminots, les éboueurs, les dockers, les ouvriers de chantiers, les restaurateurs, les agents de déchetterie, les agents d’entretien et d’assainissement des canalisations d’eaux usées, des fosses septiques et des égouts. Demandons-nous ce que feraient les décideurs, les journalistes, les petits bourgeois satisfaits, les passifs et les éternels critiques inertes de l’immobilisme spectaculaire, sans tous ces gens ? Si tous ces travailleurs cessaient leur labeur d’un coup, du jour au lendemain, qu’adviendrait-il même de l’idéologie? Que deviendrons-nous sans ces travaux que l’on rend opaque pour mieux masquer leur absolue nécessité ? Comment pourrait-on même survivre sans le support laborieux, et toujours mis sous le tapis, de ces légions de martyrs de l’épuisement quotidien qui, aujourd’hui, hier et demain, permettent collectivement la réalisation du seul vrai progrès possible ?

En fait, le chantage politique de ceux qui mettent en balance la fin du monde pour mieux justifier d’amincir nos fins de mois révèle une vérité obscure et crue. Il y a dans ce pays comme un manque, un angle mort politique. Comme une terrible absence dont crèvent les fils et filles du peuple de France. Il manque l’existence d’un Parti de masse et de classe.

Pour conclure, souvenons-nous d’une émission de Jean-Jacques Bourdin. C’était à RMC, dont l’histoire vichyste et collabo jusqu’au bout des ongles est édifiante. Cette radio, avec beaucoup d’autres, mais avec un zèle admirable, est animée par un souci furieux de la continuité historique. A travers le bagout de son monsieur Loyal, elle appuie avec persistance les respectables canailles qui occupent l’Elysée.

Souvenons-nous donc, au début du mouvement, à RMC, du témoignage de “Nadia”, qui exprimait contre les Gilets -Jaunes un ras-le-bol, bourgeois-compatible. Écoutons-la. « Moi on m’a appris un truc, mon père était militaire, on m’a appris une devise en France qui était, Liberté, Egalité, Fraternité. Elle est où ma liberté quand on m’empêche de circuler ? Elle est où ma liberté quand au rond-point d’Orange, le rond-point est rendu dégueulasse, c’est mes impôts qui vont payer ce putain de rond-point, je suis désolé de parler comme ça… ». Débonnaire et affligé, Bourdin appuie la pauvre dame d’une moue circonspecte, immédiatement suivie d’un encouragement qui ne veut rien dire.

« Et la pollution hein ! », renchérit-il. L’absurdité de l’encouragement pourrait interloquer mais Nadia, en grande professionnelle, sut ne pas se laisser déstabiliser.

« Et la pollution, oui. ».

Admirable reprise en plein vol du discours et sans doute appuyée, défendront les mauvaises langues, par quelque chose qu’aucun pourrait percevoir comme une connivence.

Elle se reprend donc, et repart de plus belle.

« Je suis passé, mon Dieu, c’était juste magnifique, des pauvres touristes allemands qui voulaient re-rentrer sur l’autoroute à qui il a fallu expliquer que non c’était pas possible, parce que non vous comprenez, en France on est pas content d’avoir la prime de Noël qui sera versé le 14 décembre, en France on est pas content d’avoir la prime de rentrée scolaire, en France on est pas content d’avoir le RSA, on est pas content aussi d’avoir les APL, on est pas content d’avoir les allocations familiales, on est pas content d’avoir notre cancer pris à 100% en France, on est pas content quand on est diabétique, on est pas content quand nos obsèques à nous de salariés sont payées par la sécurité sociale, mais ça personne n’y pense, on est pas content en France ! On n’est jamais contents ! Mais retirez tous les avantages à tout le monde, donnez-leur leur salaire brut et vous verrez, ils iront bien s’en sortir, je n’en peux plus ! ».

Par Dieu ! Quelle accumulation d’aides innombrables et dans lesquelles nous nous vautrions tous comme des porcs inconscients ! Et de cette débauche de vile consommation, que peut-on attendre sinon un juste et sévère châtiment ?

Vae Victis !

Mais soudain, comme reconduit un instant à la gravité du réel, songeons rapidement, en écoutant « Nadia », au meurtre, au tout début du mouvement, à coup de grenade, de Zineb Redouane, une vieille dame apolitique, qui avait eu le toupet insolent de regarder à sa fenêtre.

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