Il est un lieu commun de la sociologie politique actuelle de constater le décès du Parti Communiste [pour causes de suicide, de sabotage et de mise à mort]. En effet, le seul Parti de classe et de masse hexagonal du XXème siècle repose dans un large cercueil: celui que lui a confectionné François Mitterrand, Robert Fabre et quelques autre laquais atlantistes. Un tel fardeau historique condamne au réalisme tactique ceux qui tiennent à rebâtir une conscience collective ouvrière en dépit des conditions actuelles.
Ces conditions, quelles sont-elles?
Nous déambulons en des temps de l’histoire de France avilis, et où la République n’existe plus, faute de défenseurs. Elle est non seulement écrasée sous le poids de ses contradictions internes, mais également victime de structures supra-nationales mortifères, de la mondialisation financière et de l’effroyable règne de l’argent.
Tout cela mit de côté, on est également conduit à se questionner sur le tableau général de notre temps. Dans une considération strictement politique, le mouvement historique nous a privés d’organisations ouvrières puissantes. Désarmé, le prolétariat ne fait plus peur à personne, un peuple nu étant toujours vaincu. A la mémoire populaire commune, jadis hantée des combats de nos anciens, s’est lentement substituée une vaste légende de compromis réformistes, portée par une force de propagande inouïe, du cinéma aux manuels d’histoire. Sur le terrain, les camarades qui continuent à se battre tirent la langue, et ne peuvent que sauver les meubles en attendant des jours meilleurs.
Avant l’irruption des Gilets-Jaunes, le monde du travail français enchaînait quasiment deux décennies de défaites ininterrompues. Certains soutiennent que “si le climat était une banque, on l’aurait déjà sauvé”. Pourquoi pas. Mais il semble qu’on doive également ajouter que si la classe ouvrière était une espèce en voie de disparition, sans doute l’aurait-on déjà sauvé.
Car nous sommes non seulement défaits mais humiliés. EN 2018, à Bucarest, notre líder maximo eut beau baver que la France n’était pas réformable, que les français “détestent les réformes”, pour ensuite jacter, en Grèce, qu’il ne céderait rien, “ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes”, avant d’opposer, à Copenhague “un peuple luthérien”, les danois, à un peuple “de gaulois réfractaires au changement”, le sien, la réalité est que ses semblables nous roulaient dessus impunément depuis des décennies, alors même que nous souffrions de désorganisation pratique et théorique.
A titre d’exemple, prenez seulement la réforme ferroviaire de l’été 2018. Objectif du gouvernement, l’ouverture à la concurrence des lignes et la suppression des embauches au statut. Trois mois de grèves dures. Pour rien. Et Macron ne s’est pas contenté de gagner la partie, non, pensez-vous! Il fallait leur rouler dessus, les humilier, les traîner dans la boue, ces cheminots réfractaires! La cerise sur le gâteau étant d’entendre, à la radio ou à la télévision, des chroniqueurs traiter de “privilégiés” des hommes et des femmes à 1500e par mois, quand ils étaient eux-mêmes à plus de “10k” par mois, [comme ils disent entre-eux]. Macron ne vainc pas, il écrase, de sorte qu’on se demande s’il tient vraiment à faire rentrer la France dans le XXIème siècle, ou s’il compte bien plutôt faire rentrer le XXIème siècle dans la France. Car, même pour un winner, il a la victoire mauvaise, le poulain des Rothschild.
Le plus pitoyable étant que nos fameux “dirigeants”, dans leur arrogance éthérée, ne sont que des exécutants, des hommes de mains qui pensent faire l’histoire quand ils ne font jamais que le trottoir. Ils ne veulent plus seulement nous vaincre, mais nous liquider. Ils n’ont plus besoin de corps intermédiaires, de syndicats, de parlementaires, de députés ou de sénateurs, autrement que pour remplir un pur et simple cahier des charges, avec pour seules obsessions stabilotées la déflation salariale et le remboursement du service de la dette.
Pour tout cela, on peut comprendre le relatif regain de nostalgie pour De Gaulle, Clemenceau ou Napoléon. On pardonne mieux à la classe dominante quand elle était classe. Il est moins supportable d’être exploité par de purs paltoquets que par des gens qui portent, dans leurs corps et leur langage, un filament de poésie altière et majestueuse, fut-elle fantasmée.
Si on devait résumer l’enfer du décor, on pourrait dire que, en 2020, cette France dans laquelle nous vivons arrive au terme d’une phase de confusion de près de trente ans. Avec E.Macron, elle pénètre une époque de clarification agitée, qui s’effectue au moyen d’une lente tripolarisation du Jeu politique entre extrême-centre, extrême droite et extrême gauche.
“La République En Marche” (LREM) a achevé ce cycle de clarification des positions, ce réarrangement de la langue politique collective. Cet état de fait tire ses causes de cycles antérieurs. A droite, les clarifications furent déjà initiées par N.Sarkozy en 2007. Outre le fait qu’il poussa son esprit conciliateur jusqu’à soutenir la candidature de Dominique Strauss Kahn à la présidence du Fond Monétaire International, sa politique “d’ouverture” à gauche reste fameuse, notamment par les ralliements de Kouchner, Buisson, Hirsch, Bockel et Amara.
A gauche, ce toilettage des clivages fut entériné dès 2012 par F.Hollande, non pas à travers une “ouverture” à droite, cette fois, mais par la liquidation définitive des dernières illusions du socialisme réformiste, écartelé depuis les années 80 entre un dirigisme redistributif et la social-démocratie de marché.
LREM constitue donc le premier pôle effectif de cette triangulation, l’extrême-centre, fédéraliste, libéral, la revanche des Radicaux, du centre-gauche au centre-droit, des éternels Jean Monnet et des Pierre Laval, de la trempe de ces agents de l’étranger dont l’histoire de France a le secret.
Il demeure ensuite le second pôle, la droite nationaliste, le Front National, auquel se rattache déjà certaines franges des dits “Républicains” (LR). Et puis, enfin, le troisième pôle, la gauche de la “révolution citoyenne”, “La France Insoumise” (LFI).
Dans ces deux pôles, la clarification n’a pas été faite, et plusieurs lignes antagoniques cohabitent. Le Front National est écartelé entre son électorat nordiste, d’une part, et sudiste, d’autre part. Le premier est ouvrier, chômeur et victime des grandes orientations de politique économique européennes, tandis que le second est de tradition bourgeoise, obsédée par la question fiscale, l’Islam et l’immigration. Le premier veut la sortie de l’Euro, le second la refuse, au nom de ses rentes et du conformisme bourgeois.
De la même manière, LFI est écartelée entre républicanisme et “politiques d’identités” (cet antiracisme des paresseux importé d’Outre-Atlantique). Elle ne sait pas plus se décider entre la défense de la souveraineté et un anti-étatisme gauchiste, accouchant d’une ligne d’action contradictoire et inaudible sur le carcan européen. Tant que cette plateforme continuera de s’enfermer dans de belles histoires, comme celle qui consiste à se raconter que le monde du travail peut être subordonné à ceux qui font des étudiants, des femmes, des immigrés et des minorités les nouveaux moteurs de l’histoire révolutionnaire, aucun basculement politique en faveur des travailleurs ne sera possible.
Le parti “socialiste” et “les Républicains” ont su se réconcilier en se dissolvant progressivement l’un et l’autre, et l’un dans l’autre, dans un centrisme agressif de gouvernement. La droite historique retrouvera sans doute ses appuis dans un nationalisme convenable, adepte d’un parti de l’ordre et de la pénitence austéritaire, aussi courageuse contre les migrants que d’une viscosité servile à l’égard des consortiums bancaires. Politiquement, la gauche, elle, est morte. Elle ne peut vivre effectivement que sous les rênes du peuple travailleur organisé, en parti, dans l’optique d’un Front de Classe, ce à quoi elle se refuse obstinément.
Le moment où nous sommes est une impasse intenable. Espérons vivre suffisamment longtemps pour voir éclater les mensonges, les non-dits, les magouilles et les numéros pitoyables qui maintiennent encore toute cette saloperie politicarde dans un équilibre tremblant. Je ne crois pas vraiment, pour tout dire, à une issue par les urnes. Mais plutôt, dans le chevauchement de la crise, à l’établissement d’une contre-société totale qui puisse, le moment venu, prendre le pouvoir, non seulement dans les coeurs et les têtes, mais concrètement, physiquement, à Matignon, à l’Elysée, à la Défense et la place Beauvau.
Juste histoire qu’ils sentent un peu, là haut, de notre souffle dans leur nuque.