« Ce sont nos fautes en effet, et non le hasard, qui font que si nous avons encore le mot de République, nous n’en n’avons depuis quelques temps déjà plus la chose. »
Cicéron[1]La République, livre V
« Tel homme paraissait républicain avant la République qui cesse de l’être lorsqu’elle est établie. Il voulait abaisser ce qui était au-dessus de lui ; mais, il ne veut pas descendre du point où il était lui-même élevé. Il aime les Révolutions seulement dont il est le héros, il ne voit que désordre et anarchie où il ne gouverne pas. »
Robespierre[2]Cité par Mathiez, Robespierre et la République sociale, p. 35
La séquence politique actuelle semble être traversée par un immense paradoxe, qui étonnera le citoyen de bonne foi. D’un côté, on ne cesse de parler de « République », surtout à droite et dans le camp de la réaction ouverte, pour s’en réclamer, pointer le danger supposée de forces « anti-républicaines » (au choix : le wokisme, le séparatisme, les rodéos urbains, le mélanchonisme, ou que-sait-on encore – de façon assez cocasse, c’est rarement le monarchisme qui est ainsi pointé du doigt) ; ainsi il y a bien longtemps que les partis de la réaction se sont affublés des noms aussi baroques que comiques de « République en Marche », ou de « Républicains », souhaitant par là s’accaparer en leur seul nom le prestige qui s’attache à la « République ». D’un autre côté, force est de constater que les médias de la bourgeoisie s’adonnent toujours à cœur joie, au choix, à la calomnie, la falsification, voire même la forclusion pure et simple, de tout ce qui peut rappeler dans l’Histoire de notre pays la fondation de la République durant la Révolution Française, et a fortiori, la figure de Robespierre et des Jacobins. Inutile de compter le nombre d’articles de presse, de documentaires télévisuels qui se déversent chaque année dans notre pays pour flétrir la mémoire des fondateurs de la République : ils sont innombrables, et chacun en est abreuvé régulièrement plus que de raison. Ces controverses historiques s’invitent aussi dans l’arène politicienne, donnant une bouffée d’air frais à des débats forts convenus ces dernières années : ainsi, la dernière commémoration du 9 Thermidor, le 27 juillet dernier, a d’ailleurs donné lieu à une curieuse, mais éclairante, passe-d’armes mémorielle entre plusieurs députés fraîchement élus : si Antoine Léaument, député LFI, a tenu à rendre hommage à la figure de l’Incorruptible, dans ce qu’elle avait d’actuelle pour saisir la situation présente, deux députés RN ont pris le parti de lui opposer la figure de Napoléon, consul et empereur[3]
https://twitter.com/JulienOdoul/status/1552306783049457665
. Peu importe les approximations historiques dans cette affaire (Napoléon ne fût-il pas, à tort ou à raison, c’est une autre affaire, surnommé le « Jacobin à cheval » par Mme. De Staël, malgré son anti-jacobinisme affiché ?) : la figure d’hommes morts il y a deux cents ans, et qui ont jeté les bases politiques de la nation française au sens moderne du terme, déclenchent toujours autant les passions. Non, elle n’est pas morte cette flamme dans le cœur des hommes qui fût allumée il y a maintenant plus de deux siècles, et qui ne s’éteindra pas avant d’avoir atteint son but : et cette flamme, c’est la lutte des classes claire et nue.
Mais par-delà l’hystérie toute récente de la réaction pour la « République », il faut se demander comment ce concept, naguère si explosif, si chargé de conséquences révolutionnaires et progressistes, a pu se muer en mantra des réactionnaires de tout-poil. En un mot comme en cent : le prolétariat et le mouvement ouvrier doivent-ils avoir peur de la République ?
Les derniers mois de campagne électorale ont eut de quoi laisser perplexes : en quelques semaines, tout le monde ou presque s’est mis à brandir le « républicanisme » comme un certificat de respectabilité, sans jamais d’ailleurs prendre la peine de définir ce qu’il entendait par là. A prendre les choses sans fioriture, il est vite apparu qu’être « républicain » pour la plupart de ceux qui s’en réclamaient de façon désormais aussi outrancière qu’inculte, c’était être peu ou prou anti-mélenchoniste. Lui, l’ex-trotskiste devenu mitterandien jamais repenti, qui s’était forgé il y a quelques années une mythologie jacobinisante, pour ensuite la troquer contre un opportunisme fourre-tout, le voilà désormais « Ennemi public n°1 de la République » ! On a beau trouvé les amours indigénistes et intersectionnels de ce social-démocrate invétéré et de sa cour indigents, la ficelle est un peu grosse. Surtout lorsqu’en face, le grotesque Darmanin va jusqu’à invoquer son « café républicain » (sic !) pour conjurer le mélanchonisme, lui, l’ancien de l’Action Française[4]
https://twitter.com/GDarmanin/status/1550744037950455808
! Ne mentionnons même pas Macron et sa clique, qui ont ajouté quelques frasques à notre article sur le sujet[5]
https://legrosrougequitache.fr/ce-fascisant-m-macron/
: commémoration de Barrès[6]
https://www.lemonde.fr/culture/article/2022/07/19/en-2023-france-memoire-celebrera-colette-blaise-pascal-la-fusee-ariane-ou-encore-maurice-barres_6135371_3246.html
, citation d’ouvrage pétainiste lors du 14 juillet[7]
https://twitter.com/bfmtv/status/1282721951182655489
, ou encore député macroniste volant au secours d’une apologie révisionniste de Franco par un journal de droite célèbre et désormais en roue libre[8]
https://twitter.com/StephaneVojetta/status/1558161626771202048
! Bref, la confusion est à son comble, et les pires anti-républicains peuvent donc désormais se draper impunément et sans contradiction sérieuse de « républicanisme ».
Mais cette soi-disant « République », qu’est-elle donc, si ce n’est le masque de la régression sociale la plus réactionnaire, et la plus ennemie de la République, telle qu’elle s’est historiquement constituée en France ? Qu’est-elle cette « République » vidée de sa substance, si ce n’est une république sans République, c’est-à-dire l’idéal de tous les réactionnaires français depuis deux siècles, des Girondins à Macron, de Thiers à Dalladier : la « République » idéale pour eux, c’est celle qui fait le même travail que la monarchie, c’est-à-dire qu’elle sert les intérêts des classes dominantes, et qui en dernière instance, n’est qu’une « chose privée » en leurs mains.
Robespierre en son temps avait déjà démasqué ces margoulins de la « République des copains », cette République conservatrice chère à Thiers, et qui est l’ennemie absolue de la République sociale : « Est-ce dans les mots de république et de monarchie que réside la solution du grand problème social ?[9]Cité par Mathiez, Ibid., p. 33 ». Il avait déjà bien vu que la chose était vide sans le mot, et qu’une « République » conservatrice, privée de toute portée sociale n’était pas moins détestable qu’une monarchie. On peut donc être « républicain sans République » : lorsque l’on est une crapule bourgeoise qui veut adoucir la forme de l’exploitation, et lui substituer d’autres mots, mais sans vouloir adoucir la chose.
Car enfin, quel est le vice fondamental de la monarchie et de l’aristocratie ? C’est de privatiser la chose publique, c’est-à-dire la République, de transformer la vie des membres du corps sociale en jouet d’une poignée d’hommes, guidés uniquement par leurs intérêts privés ; c’est de faire du destin des travailleurs l’affaire particulière de quelques privilégiés. Or, le capitalisme, n’est-il pas justement en son cœur la sanctuarisation de la propriété privée à tout prix ? Comment pourrait-il donc être réellement « républicain », comment pourrait-il laisser quoi que ce soit de public ? Au contraire, au règne de la Res publica, il opposera toujours celui de la Res privata, et son égoïsme débridé.
Il y a donc un antagonisme de classe qui gît au fond du concept même de République : si la politique doit réellement être une « chose publique » et donc que le destin de tous être l’affaire de chacun, alors ce sont les travailleurs qui doivent s’emparer du pouvoir pour diriger leur existence, pour la simple raison qu’ils sont non seulement les plus nombreux, mais aussi et surtout ceux à qui les oisifs doivent leur existence. Et leur adversaire dans cette lutte, ce sont les privatiseurs de tout-poil, à savoir la classe bourgeoise en son ensemble. On ne saurait donc intimider le prolétariat avec le concept de « République », car elle est au contraire, comprise en son concept, sa meilleur arme contre son adversaire mortel et irréductible.
Mais allons encore plus loin. Cicéron définissait déjà la République par son essence rationnelle : « c’est la raison qui gouverne la République[10]La République, livre III ». On voit là la portée admirable de cette caractérisation : la République n’est pas seulement le régime qui fait de la politique une chose publique, à la portée de tous, mais c’est de plus le régime qui par cet acte de publicisation, met la rationalité aux commandes de la société. Là encore, les capitalistes, et nos chers « pseudo-républicains », peuvent-ils seulement se réclamer de la rationalité ? Là où règne l’anarchie dans la production, où l’on produit pour un marché sans même savoir ce qui va être consommé, où est le règne de la raison ? Il est évident que ce règne se trouve bien plus dans la planification de l’économie, c’est-à-dire dans le socialisme. Le socialisme est donc l’aboutissement logique du concept de République : si la raison gouverne, alors elle doit gouverner aussi la réalité économique des hommes.
Et c’est là que le bât blesse pour nos adversaires auto-proclamés « républicains » : ils ont passés les dernières décennies à déréguler l’économie, à combattre le communisme avec acharnement, à s’opposer à toute forme de planification, la voyant même comme l’embryon du « totalitarisme », et les voici que le concept de République se retourne contre eux ! Eux, les privatiseurs et les promoteurs du chaos anarchique de l’économie, ils seraient « républicains » (avec ou sans leur café « républicain », c’est au choix) ? Eux, qui ont fait du capitalisme une vaste entreprise de « destruction de la raison », bafouant tout ce que la rationalité scientifique et les Lumières de toutes époques avaient pu mettre au jour ? La chose n’est pas sérieuse, et il est désormais ridicule de les voir tenter pitoyablement d’intimider la classe travailleuse avec l’invocation frénétique de la « République » pour sauver l’ordre bourgeois. Non messieurs, la République ne vous sauvera pas, car elle est amour de la chose publique, ennemie de la chose privée, et gouvernement dictatorial de la raison ; et à ce titre, elle était et sera toujours l’amie des travailleurs et des exploités de tous les pays. Jacques Roux, « enragé » comme on les appelait alors, disait déjà à l’aube de sa naissance : « La République n’est qu’un vain fantôme quand la contre-révolution s’opère de jour en jour par le prix des denrées, auquel les trois quarts des citoyens ne peuvent atteindre sans verser des larmes ». En ces temps d’inflation galopante provoquée par la folie belliciste de nos dirigeants à l’Est, cette critique de la contre-révolution des faux « républicains » et des vrais privatiseurs raisonne avec d’autant plus d’échos dans les cœurs de ceux où « l’antique vaillance n’est pas encore morte[11]Pétrarque, Canziones ». Et à l’heure où les mouvements sociaux se multiplient partout dans le monde et en Europe, il est grand temps pour la France et son prolétariat de tout faire pour ne pas faire mentir Pétrarque, et de mettre sa maxime en application.