Confinement, intégrisme et nécessité d’un athéisme de combat.
« Ne crains pas tes ennemis, dans le pire des cas ils ne peuvent que te tuer.
Ne crains pas tes amis, dans le pire des cas ils ne peuvent que te trahir.
Crains les indifférents, ils ne tuent pas, ne trahissent pas, mais c’est grâce à leur assentiment silencieux qu’existent la trahison et l’assassinat. » Bruno Jasienski.
« (…) Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maëlstroms épais (…) » Arthur Rimbaud, Le Bateau Ivre.
“Je ne rêve pas d’un monde où la religion n’aurait plus de place, mais d’un monde où le besoin de spiritualité serait dissocié du besoin d’appartenance.
D’un monde où l’homme, tout en demeurant attaché à des croyances, à un culte, à des valeurs morales éventuellement inspirées d’un Livre saint, ne ressentirait plus le besoin de s’enrôler dans la cohorte de ses coreligionnaires.
D’un monde où la religion ne servirait plus de ciment à des ethnies en guerre.
Séparer l’Eglise de l’Etat ne suffit plus ; tout aussi important serait de séparer le religieux de l’identitaire.
Et, justement, si l’on veut éviter que cet amalgame ne continue à alimenter fanatisme, terreur et guerres ethniques, il faudrait pouvoir satisfaire d’une autre manière le besoin d’identité”. Amin Maalouf, Les Identités Meurtrières.
Il y a comme un faisceau d’indices, dernièrement, sur le fait que nous errions les uns et les autres dans un “Monde de merde”.
La bassesse humaine est un classique essoré de la littérature moderne comme du commentaire d’actualité, la médiocrité fait désormais partie des meubles de l’anthropologie produite par ce Brave New World, comme la vilenie ingrate, les mesquineries fielleuses, le nombrilisme impitoyable, les trahisons molles et sans audace.
Nous subissons depuis si longtemps la pulsion mandevillienne de nos contemporains à vouloir baiser leur prochain (cf. « Baise ton prochain », Dany-Robert Dufour) que celle-ci fait finalement partie de notre lot quotidien. Nous sommes bel et bien des démons les uns pour les autres, et c’est une seconde nature dont s’est accoutumée la culture commune.
Mais, à cette fine pellicule boueuse d’inhumanités permanentes s’ajoute la crise financière et économique, les 10 millions de français sous le seuil de pauvreté, l’épidémie de Covid-19, un couvre-feu sanitaire qui ne fut que le bref préalable à un reconfinement général, sans omettre, sur le plan géopolitique, un Erdogan qui aiguise ses couteaux face aux Grecs, l’Arménie qui se met en branle-bas-de combat face à son agression par l’Azerbaïdjan, les USA qui déclinent, déchirés entre le pitoyable Trump et l’ignoble Biden sans oublier, cerise morbide sur le gâteau infâme, la décapitation dont a été victime le professeur Samuel Paty, supplicié par un assassin boucher et inculte. A ce tableau général d’une morbidité complète, il faut encore ajouter, comme si cela ne suffisait pas, l’attentat de Nice et ses trois morts, dans la basilique de Notre-Dame-de-l’Assomption.
La délectation dans l’impuissance étant une spécialité gauchiste et mondaine, on rechigne pourtant, et à raison, à franchir le pas du pessimisme le plus nihiliste à la froide lecture de tels évènements. Sur de nombreux points, la désorientation du monde occidental, c’est à dire capitaliste et atlantiste, est totale.
Notre Cité nationale, qui a désormais plus à voir avec un hypermarché anomique qu’avec une République, rappelle dans sa forme le Béhémoth hobbesien, tel qu’il est également mentionné aux chapitres 40 et 41 du livre de Job, sorte d’hippopotame gigantesque que rien ne peut troubler, chahuter ou émouvoir, créature apathique, inamovible et désespérément immobile, dont le caractère indomesticable n’a d’égal que son incapacité à gouverner quoi que ce soit. Outre l’image et le symbole, il semble que le capitalisme transnational et financier ait poussé à un certain dépérissement de l’Etat qui porte, dans son mouvement, sans doute le seul véritable ensauvagement dont il importe de faire mention.
Mais nous autres, sous un tel joug, que faire? Doit-on se résoudre à se dire que tout est vain et absurde ici-bas ? Dansons, mangeons et buvons camarades, car demain nous serons tous morts ?
Ce serait trop facile que de se résoudre à un tel programme de joyeuse mécréance épicurienne, bien qu’il soit assurément agréable en bien des points. Non, il y a un devoir de vérité historique vis-à-vis de la tragédie que nous vivons. Une amnésie collective, perversement entretenue, nous empêche de voir que le fruit amer de l’islamisme djihadiste le plus barbare, sur notre sol, n’est que la conséquence de plus de 50 ans de politiques internationales irresponsables, auxquelles les classes dominantes Française et Européennes ont activement participé. Celles-ci ont systématiquement pris le parti de l’islamisme intégriste contre le communisme, le socialisme, le panarabisme et même contre les nationalismes laïcs, africains et orientaux. Cela au détriment même des conditions matérielles d’existence de centaines de millions de musulmans à travers le monde.
Au sujet de Samuel Paty, on sait désormais, par un document publié par Jean-Pierre Garnier sur le blog de la “Librairie Tropiques”, que son bourreau fut l’enfant d’une famille de réfugiés tchétchènes résidant en France depuis 2008. Le père de cet individu avait, pour tout fait d’armes, soutenu des terroristes en Tchétchénie et la France lui a, par conséquent, offert l’accueil avec une sorte d’altruisme intéressé. La politique des droits de l’homme a sa logique que la logique ignore. Le drame est entier, et le peuple français se prend au visage le résultat d’un ensemble de politiques criminelles qu’il n’a jamais impulsées. Qui sont les responsables bien coupables ?
Réponse: une succession de gnomes élyséens suivistes de l’agenda nord-américain et des affairistes gestionnaires dotés d’une conscience historique de bigorneaux, et dont la carrière fut la seule et unique boussole.
Le djihadisme actuellement dominant, quant à lui, est le fruit d’une co-production saoudienne et étasunienne, à laquelle bon nombre de pays européens ont apporté leur pierre, la propagande wahhabite étant actuellement tolérée de fait par l’ensemble des grandes puissances capitalistes occidentales (le wahhabisme n’étant qu’une hérésie littéraliste du début du 18ème siècle portée par la dynastie des Saoud après l’alliance en 1744 entre Ibn Abd-Al Wahhab et Mohammed Ibn Saoud, devenant ainsi un mouvement politico-militaire soutenu plus tard, au 19ème siècle, par l’Angleterre pour sécuriser ses routes commerciales).
Sous sa forme islamique contemporaine, le terrorisme est une entreprise mondiale de déstabilisation orchestrée plus ou moins adroitement par un empire “corporatocratique” sur le déclin, et dont la veulerie sanglante n’a d’égale que l’opportunisme le plus avide.
Mais, pourrait-on objecter, nous sommes en France, en 2020. Alors, si jamais on peut s’accorder collectivement sur le constat, que nous reste-t-il à faire, ici et maintenant ? Plusieurs pistes se présentent.
D’abord, la laïcité française ne doit pas être seulement une neutralité vis-à-vis du phénomène religieux mais, au sens anthropologique, la religion séculaire de la Cité Républicaine, c’est à dire, notre façon d’organiser le phénomène religieux. Elle doit être précisée et refondée pour ne plus être une simple laïcité libérale, bourgeoise et multiconfessionnelle, mais bien plutôt le levier énergique d’un athéisme d’Etat, qui est à mettre en place en même temps qu’une collectivisation et une planification de la production sur le territoire national.
Il semble que l’athéisme militant soit devenu nécessaire au regard de l’actuel rapport de forces sociales et géopolitiques. Dans les milieux populaires, la philosophie est majoritairement perçue au mieux comme un intellectualisme snob, au pire comme une ennemie mortelle de la religion, donc de la vertu, de l’éthique, de la famille et de la morale. L’antithéisme darwinien est désormais une étape fondamentale de l’élaboration d’une conscience de classe offensive sur le terrain de l’émancipation. Le poids de l’aliénation religieuse occupe un tel espace dans le prolétariat que l’ironie et l’humour au sujet des religions est impérieuse, d’une part, tout comme la démonstration systématique de la fausseté de nombreuses affirmations portées par la Bible, le Coran, la Torah et leurs propagandistes, d’autre part.
Certes, le rapport du marxisme à la religion est subtil, et n’ignore pas, dans l’histoire humaine, le rôle parfois civilisateur et dialectique de celle-ci (cf.Le christianisme anabaptiste mentionné par Engels dans “La Guerre des Paysans” est une forme d’hérésie révolutionnaire pré-communiste). Chaque fois que cela est possible et que les conditions du dialogue sont réunies, il faut tendre la main aux travailleurs religieux. Mais il faut bien retenir que le refus du débat contradictoire comme du dialogue constructif n’est le plus souvent jamais du côté des athées et des communistes, mais presque toujours des religieux, spécialement de la part des cadres cultuels et de ceux qui voient dans le socialisme une menace des plus sataniques à leurs intérêts matériels. En outre, cette main tendue doit être ferme : la ligne politique d’un Parti (qui reste à construire) regroupant l’ensemble des travailleurs afin d’unifier leur force de frappe ne peut comprendre la moindre influence de spiritualité religieuse. A un certain degré, la tolérance de l’ignorance et de la superstition est une condescendance, celles-ci doivent se combattre.
Cela étant dit, il semble également qu’on ne pourra pas durablement détruire l’intégrisme sécessionniste sans l’aide des Français de confession et de culture musulmane. Il nous faudra bien édifier le puissant artifice d’un véritable Islam de France. Il faut jacobiniser la pratique de l’islam sur le territoire national, car il n’y a pas à l’heure actuelle d’Islam de France mais des islams en France et des Français de confession musulmane d’origines diverses. Une analyse honnête ne peut qu’admettre la diversité pratique et effective entre musulmans du Maghreb, d’Afrique centrale, de Tchétchénie, d’Indonésie ou d’ailleurs, que ce soit au niveau des habitudes culturelles, des rites et des croyances. Cette réalité plurielle dément les wahhabites comme les pseudo-pourfendeurs médiatiques de “l’Islam”, comme s’il s’agissait d’un seul bloc homogène, étant donné que les uns et les autres sont curieusement en accord sur le fait que le seul islam possible serait littéraliste, régressif, obscurantiste et intégriste. Rien n’est plus faux, l’histoire le démontre.
Il faut ajouter à cela une analyse de classes: traite-t-on dans ce pays de la même manière les musulmans, selon qu’il s’agisse d’un milliardaire Qatari ou d’un technicien de surface d’origine malienne ? L’évidente réponse à cette question saute aux yeux. Aussi, le contenu des prêches, le financement des mosquées et la formation des imams est soumise à une telle anarchie que les hybridations avec la mafia, d’une part, et les réseaux terroristes internationaux, d’autre part, ne peuvent pas ne pas avoir lieu en l’état actuel des choses. Il nous faut partir de cette réalité, et rebattre profondément les cartes du jeu.
Éradiquer la pauvreté sociale et substituer au désert idéologique des quartiers populaires un idéal de vie pratique et théorique qui soit exigeant, voilà la meilleure façon de lutter contre la “radicalisation”.
Aussi, le communisme bien compris n’est-il pas une manière de répondre au besoin d’identité sur lequel s’interroge Amin Maalouf, cité en introduction ? Le sport, l’ouvrage, l’éducation et la formation doivent briser la dynamique mortifère de l’endoctrinement. Il faut encourager la construction sociale d’êtres humains sains d’esprit, stables, épanouis, et dont l’individualité est aussi tendue que possible vers le plein développement de leur capacités personnelles, politiques, philosophiques, athlétiques et esthétiques.
Enfin, il nous faut faire de la religion un objet d’histoire et de science, garantir la liberté de culte, tout garantir aux individus en tant qu’individus, et rien en tant que membre d’une ethnie religieuse. Ce combat est à mener, et il ne peut l’être par personne d’autre que chacun d’entre nous, travailleurs athées et même, pourquoi pas, croyants. L’appareil d’Etat doit mettre tout son poids dans cette entreprise d’éradication du néo-fascisme intégriste et théocratique, et peut-il le faire autrement que sous contrôle prolétarien ?
Précisons également que l’existence d’un racisme contre les musulmans est une évidence indéniable. Un athéisme d’Etat sûr de lui-même ne doit pas inquiéter celui qui pratique sa religion en toute quiétude, et sans prosélytisme. La liberté de conscience doit être totale. Mais sur cette question, il faut avoir une vision d’ensemble, et ne pas être dupe de la stratégie actuelle des Frères Musulmans, et de leur instrumentalisation sournoise du vocable “islamophobie”. Ce terme est trop souvent un outil d’intimidation et de réduction au silence, qui fait mine de soupçonner la mécréance et l’athéisme de racisme, pour mieux les faire taire. En France, la gauche communiste doit faire face sur le terrain de l’intégrisme à deux forces, la pression gauchiste anglo-saxonne, d’une part, et la pression cléricaliste atlantico-compatible, d’autre part. L’athéisme étant désormais renvoyé systématiquement au racisme, il faut être intraitable dans sa promotion, surtout au regard du degré de mauvaise foi, de calcul et de malhonnêteté de ceux qui ne sont plus seulement nos adversaires, mais nos ennemis.
L’accoutumance à la régression obscurantiste au nom de la tolérance libérale est une lâcheté néo-vichyste typique. Le terme même “islamophobie” est très mal choisi. En effet, le racisme à l’endroit des musulmans de beaucoup de néo-conservateurs et réactionnaires ne traduit pas une peur irrationnelle, une “phobie”, mais dépend bien au contraire d’un discours mûrement réfléchi bien qu’obtus, ce qui les responsabilise d’ailleurs d’autant plus.
L’extrême droite se hâte de dresser des procès en “islamo-gauchisme” aux communistes. Mais celle-ci qui conchie le corps professoral toute l’année, méprise les outils étatiques d’intégration sociale, vomit le fonctionnariat, défend la “libération des énergies”, l’ensauvagement économique et le séparatisme de la classe capitaliste n’a aucune leçon à donner sur la lutte contre le communautarisme ou l’obscurantisme religieux, surtout quand on constate la sélectivité de ses condamnations obnubilées par l’islam, et très peu prolixes, par exemple, sur l’évangélisme bolsonarien et l’intégrisme catholique.
A l’autre extrémité du spectre politique, la pseudo-gauche qui croit défendre les musulmans en relativisant cet acte de terrorisme ne fait que démontrer son inconscient colonial, bourgeois et même raciste. Elle se réserve l’athéisme émancipé des lumières, et les musulmans comme les arabes, confondus en un seul bloc, quant à eux, ne sont bons qu’à accéder à un Islam made in Start-Up Nation, à la sauce “coca cola” et décapitations tchétchènes. Cette tartufferie abjecte doit être dénoncée aux rangs des nombreuses pitreries stupides du gauchisme postmoderne.
Ces pistes tracées, il reste toutefois quatre problèmes en suspens.
D’abord, le peuple français va-t-il devoir affronter à l’avenir les mêmes conséquences avec les réfugiés ouïghours qu’avec les réfugiés tchétchènes ?
Ensuite, l’asymétrie médiatique infligée aux musulmans et aux populations arabes à travers le monde (islam et arabité étant manifestement indissociables dans l’imaginaire collectif français, ce qui est pourtant bien contestable) n’est-elle pas considérable? Car si les Tchétchènes, les Ouïghours et les Rohingyas bénéficient d’un a priori plutôt positif dans les médias selon les enjeux géopolitiques du moment, qui se soucie de la politique menée depuis 2014 par le national-populiste Modi à l’égard des musulmans indiens, dont il a déchu la nationalité pour 2 millions d’entre eux ? Et les Yéménites? Ou, pire, les Palestiniens?
Par ailleurs, Macron et Darmanin ont décidé de dissoudre Barakacity (plutôt salafiste) et le CCIF (plutôt sous la coupe des Frères Musulmans). En soi, c’est une bonne chose. Mais sur quelle base se fonde cette interdiction ? Pour le moment, on demeure dans l’arbitraire de l’exécutif. Un État socialiste, pour sa part, aurait produit une loi interdisant purement et simplement les organisations financées par des soutiens du terrorisme international, d’une part, et de l’impérialisme, d’autre part.
Enfin, n’est-ce pas de la pure communication politique que de lutter au niveau national contre des individus, des groupements et des structures qui sont les alliés objectifs de l’appareil d’état français au niveau international ? Darmanin, Macron, Marwan Muhammad (CCIF) et Idriss Sihamedi (Barakacity) [ce dernier ayant même envoyé des convois “humanitaires” durant la guerre en Syrie ] ne sont-ils pas des alliés objectifs et finalement d’accord sur l’essentiel au sujet de la politique à mener au Moyen-Orient ? N’ont-ils pas les mêmes positions sur la Syrie?
Ces problèmes à l’esprit, il nous incombe de “géopolitiser” cette question de l’intégrisme, d’imposer à nos adversaires de répondre à ces questions extrêmement précises au moindre débat contradictoire, et d’amener l’ensemble des Français à se questionner sérieusement sur la politique étrangère par laquelle on les mène par le bout du nez.
Il y aura certainement un avant et un après Samuel Paty. Le combat est d’ores et déjà rude. Tâchons de le mener aussi dignement que possible car établir la vérité historique sur ces dossiers saura, demain, faire oeuvre révolutionnaire.