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Madame Lyme, ou les symptômes de la médecine malade

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Madame Lyme, ou les symptômes de la médecine malade

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Pour mesurer l’ampleur de la dégradation du système médical français, rien ne vaut une maladie à la con.

Le grand avantage de la maladie de Lyme est que les soins qu’elle nécessite font appel à ce qui a fondé l’excellence de la médecine française depuis les années 1950 : une tradition d’observation clinique, une curiosité médicale qui alimente des compétences transversales, une pratique de la médecine en équipe et bien sûr, une prise en charge des coûts financée par la cotisation sociale. Bref, cinq prérequis qui sont en passe de disparaître totalement du paysage français.La bataille autour des préconisations de 2006 de la HAS (Haute Autorité de Santé), le plan Lyme de Marisol Touraine en 2016, les tables rondes organisées en mars 2019 par le Sénat qui réunissent divers spécialistes de la maladie, les publications médicales et les publications internet des associations de malades (France Lyme, Le droit de guérir), sans oublier les conférences de médecins ou les témoignages, ont sans aucun doute permis aux malades concernés d’avoir une vision mieux documentée de leur maladie.

Internet est un outil qui permet désormais au quidam d’avoir accès à une flopée d’informations. Même s’il est de bon ton de juger cet accès à l’information comme un danger, l’expérience nous prouve que la population n’est pas la mineure scientifique et politique qu’on veut bien nous faire croire : elle finit la plupart du temps par comprendre de quoi il retourne et ce, n’en déplaise aux prescripteurs d’opinion de tout poil qui hurlent contre les dangers de la démocratisation des savoirs.


Lyme est à la mode. Parce qu’il s’agit d’une pandémie qui est mieux documentée qu’il y a trente ans, parce qu’elle touche des tranches de la population jusque là épargnées, parce que les modifications permanentes du biotope et de sa relation à l’homme font émerger de nouvelles maladies en même temps qu’elles font varier leur taux de répartition et de dissémination. Mais in fine, surtout parce que toutes les batailles au sujet de cette maladie ont pour toile de fond le paysage médical français dont l’état de santé est défaillant.


Les compétences transversales en médecine sont, c’est peu dire, évacuées depuis les années 90 au profit d’une ultra spécialisation.


Ceux qui optent pour une spécialité en vogue, qui transforme le médecin généraliste de fin d’études en spécialiste plus ou moins coté, exercent dans un établissement lui aussi, plus ou moins bien coté. Qu’il soit public ou privé, la différence est désormais considérée comme de peu d’importance au regard de cette cotation sur l’échelle de l’excellence. La chirurgie, cardiaque, orthopédique, endocrinienne ; la neurologie ; la rhumatologie… Certaines spécialités ont plus ou moins le vent en poupe et pratiquent une « saine » concurrence. Entre elles, entre hôpitaux, entre spécialistes, entre régions, entre hôpitaux d’une même région, etc. Car désormais, qui dit spécialisation à la mode, dit financement, et vice versa. L’évaluation, et donc le financement qui en découle, se font au détriment de tout autre critère : le maillage du territoire par exemple mais aussi la nécessité d’adapter rapidement les services médicaux nécessaires aux besoins des malades, aux pathologies émergentes, bref, aux métamorphoses parfois soudaines des viroses, des bactéries et de leurs voies multiples d’expression au sein des populations.


La sous alimentation actuelle des services de médecine générale hospitaliers ampute d’autant les capacités d’adaptation de l’ensemble du système aux modifications du terrain. Tout comme la raréfaction des généralistes dans les territoires régionaux ou l’absence des liens entre centres hospitaliers universitaires et médecins de campagne. Des cabinets bondés limitent les possibilités de formation, qui devrait être continue, tout comme ils limitent la durée des consultations et donc leur pertinence en matière d’observation clinique.


La médecine générale de proximité n’a donc que peu de moyens sous la main, hormis des laboratoires d’imagerie ou de biologie médicale privés. Ceux-ci pratiquent des examens et des comptes-rendus à la chaîne, le but étant de faire le plus d’examens en le moins de temps possible afin de rester « rentables », c’est à dire de ponctionner à la Sécurité Sociale le plus d’actes pour rentabiliser le train de vie de sénateur des médecins actionnaires de ces laboratoires de haute « technicité ». Il paraît que le secteur de l’imagerie et de l’analyse des données de laboratoire est en passe de se débarrasser de son personnel : on serait tenté de s’en réjouir car ils sont à peine plus affables que leurs machines et ont l’œil moins sûr : à force de pratiquer à la chaîne, ils en perdent non seulement toute humanité mais aussi leur « œil clinique ».
Bien sûr, si vous atterrissez aux urgences, il existe encore des médecins qui pratiquent une médecine générale avec des moyens techniques à portée de main (imagerie, laboratoires d’analyses internes, blocs opératoires etc.) qui leur permettent de faire un diagnostic, de vous traiter ou vous rediriger, après consultation et évaluation clinique de votre cas. « Après consultation » sont les mots importants de la phrase.


Il est donc possible de se faire soigner à condition qu’il y ait suffisamment de médecins, d’infirmières, d’aide soignants et de personnel administratif ou d’entretien aux urgences de l’hôpital dont vous dépendez. Les urgences de divers hôpitaux sont en grève : il n’ont plus assez de personnel pour faire face à la nécessité. Les médecins urgentistes doivent, en plus de leur service médical à proprement parler, passer des heures à coter les actes qu’ils ont effectués pendant leur service afin que leur travail soit évalué et donc que leur service soit financé. Et puis, qui dit raréfaction des généralistes, dit urgences au moindre accident, à la moindre inquiétude. Besoin de se faire recoudre ? Urgences. Douleur persistante et inquiétude naissante ? Urgences. Fermeture du cabinet du généraliste local à 18 heures pétantes ? Urgences. Quand il manque un maillon à la chaîne, les autres sont sous tension.


Bref, si vous relevez à la fois du service de cardiologie, de rhumatologie, de médecine infectieuse, de neurologie, vous devez apprendre ce que chaque spécialité pense de votre cas, dans les limites bien sûr de son domaine de spécialisation. Vous n’êtes pas un malade, vous êtes éventuellement un bouquet de symptômes qui vous rattache à une spécialité. Un peu comme un bouquet de travaux vous rend éligible à un crédit d’impôt.


Les dotations des services dépendent du renom de tel ou tel « docteur » es spécialité. Et aussi un peu de son entregent, ce qui nous ramène aux maladies à la mode, aux spécialités en vogue et de fil en aiguille, au mode de recrutement des médecins… C’est son taux de « réussite » dans la spécialité qui fait sa reconnaissance par ses pairs mais aussi dans les hebdomadaires type Le point qu’on voit invariablement traîner dans les salles d’attente. Et si sa patientèle, celle qui effectivement patiente pour être soignée, est elle aussi sommée de répondre à des enquêtes de satisfaction, ce n’est que pour valider en dernière instance les résultats du système de santé mis en place en haut lieu. Non, vous n’êtes pas celui ou celle qui travaille et socialise une partie de son salaire pour que fonctionne une médecine de qualité pour tous. Vous êtes au mieux un patient qui bénéficie de soins. Mais vous êtes de plus en plus un client, souvent très patient.


La transversalité n’est donc plus à la mode, chacun travaillant avec acharnement pour sa spécialité, sa propre gloire aussi. A l’inverse des équipes de soignants qui vont et viennent, à l’image des infirmières utilisées comme « bouche trous », mal payées, mal reconnues, exploitables à merci, le spécialiste est la référence et la gloire du service. Inamovible, sauf quand il estime qu’il est insuffisamment rétribué au regard de la plus-value qu’il apporte à l’établissement, surpayé via les dépassements d’honoraires et éventuellement les dessous de table. Le super spécialiste est nationalement reconnu, au minimum. Il s’auto-exploite certes, mais garde des possibilités d’aménagement de son emploi du temps, contrairement au lumpen du soins qui a, lui, des horaires impossibles.


La nécrose accélérée de la médecine n’est un secret pour personne en France : le nombre de services en grève, la saturation des listes d’attente pour les consultations, l’errance médicale imputée à la frivolité des patients en donnent une illustration parfaite. Mais cette image n’arrive pas jusqu’aux cerveaux des managers du ministère de la santé, occupés à soigner d’autres intérêts plus pressants. Managers qui ont à cœur de gérer la santé et surtout son budget afférent, comme ils ont géré la Haute Autorité de Santé, à la schlague et en fonction des intérêts de leurs amis. Sans méchanceté aucune, conscience de classe oblige.
L’ultra spécialisation fait certes faire des progrès à certains secteurs de la médecine, concomitamment au développement des technologies. Et c’est cette spécialisation qui permet de doter confortablement la recherche dans la spécialité en question, dans la mesure où elle rapporte. Il n’y a qu’à regarder les dotations des oncopoles qui fleurissent, à grand coup de Partenariat Public-Privé. Dépenses publiques (cotisation sécu, impôts), bénéfices privés… On connaît désormais la chanson : consultations privées au sein du secteur public, attributions des marchés publics de construction et de gestion (dont les parkings payants, les cafétérias, les fournisseurs de matériels divers, les laboratoires de recherche, etc.). Sont compris dans les coûts, les problèmes de fondations des bâtiments (nouvel hôpital Purpan), les aberrations architecturales diverses et coûteuses (la liste est trop longue) et j’en passe. En gros : tout ce qu’on appelle pompeusement « modernisation de la santé ». Quant à ce qui devrait officiellement promouvoir la transversalité des pratiques, c’est à dire les congrès, ils rassemblent les spécialistes du genou et sont payés et proposés aux spécialistes du genou dans le monde : ce qui fait somme toute assez peu de personnes au regard de la totalité de la population médicale. Sans oublier que ces congrès formateurs sont en majeure partie financés par des laboratoires pharmaceutiques reconnus pour l’ensemble de leurs œuvres, d’intérêt public.


Il y a très peu de spécialistes de Lyme labellisés par le monde de la santé car cette maladie ne relève pas d’un complément d’études prévu dans le bagage général de la formation médicale et appartient à la spécialité d’infectiologie. Ses symptômes, lorsque la première phase de la maladie n’est pas détectée et soignée par antibiothérapie, ont à voir possiblement avec toutes les spécialités, ce qui n’arrange à priori pas une pratique de la médecine fondée sur la spécialisation telle qu’elle est conçue actuellement où chacun a son pré carré. Cette affection pourrait évidemment relever de la médecine générale mais elle est classée (à tort dorénavant) comme une maladie peu commune sur laquelle on ne s’attarde pas pendant ses études. Seuls quelques généralistes dans certaines régions où cette maladie s’étend sont amenés à développer une pratique spécifique. Souvent seuls face aux maux multiples et pénibles de leurs patients, ils pratiquent dans ce cas une clinique mi-empirique, mi-scientifique qui les met trop souvent en porte à faux avec les pratiques officielles et donc l’Ordre des Médecins. C’est lui qui veille à l’application des grandes orientations de la médecine française et qui fait plus office de surveillant du respect de la règle que de « cerveau médical collégial » institué pour aider à la résolution des diverses problématiques posées par la pratique médicale solitaire.

La majorité des médecins qui grenouillent dans cet Ordre est plutôt attachée à la conservation de l’honneur de la discipline, regroupant les médecins dignes qui ont « compté » dans chaque département, ceux qui présentent bien, qui veillent au grain et donc au tri entre ce grain et l’ivraie. Le caducée leur servant de faisceau (puisqu’ils n’ont jamais manié la faucille et le marteau), ils appliquent leurs raisonnements de vestales dans nos belles régions et pourfendent les hérétiques qui passent à portée de leur fauteuil. Pour la curiosité scientifique qui aiguillonne, vous repasserez.


Cette curiosité de l’intelligence médicale en a pris, elle aussi, un sérieux coup ces dernières années. Les médecins pratiquent un entre soi qui limite singulièrement leur horizon intellectuel. Ce ne sont pas, ni leur mode de recrutement, ni le numerus clausus, ni le contenu de leurs études qui leur ouvrira l’esprit. Et si leur pratique peut les assouplir, c’est à la condition qu’ils acceptent de considérer leurs patients comme autre chose qu’un beau symptôme. Le spectacle de la souffrance et de la mort a toujours représenté un exercice de haute voltige intellectuel et psychologique, ce pourquoi les rituels de salles de garde ou de bizutages fournissaient un exutoire non dénué d’à propos. Mais rien ne vaut une pratique de contact, une pratique en prise avec le réel de la souffrance, ce qu’une consultation digne de ce nom fournit mais que désormais peu de médecins pratiquent. Les contacts avec les patients sont éphémères, les déplacements géographiques fréquents, l’office de médecin de famille en voie de disparition, les cadences de soins infernales.


Évidemment, nous sommes plus soignés et suivis qu’au 19ème siècle, la science médicale a énormément progressé mais… cette énorme progression est historique. Elle est le résultat du financement massif de la médecine via la création du régime général par Ambroise Croizat au sortir de la seconde guerre mondiale. C’est précisément un choix politique historiquement défini qui a permis de sanctuariser le financement de la médecine sur l’ensemble du territoire. C’est le budget annuel énorme représenté par l’ensemble des cotisations transférées à la Sécurité Sociale qui a fait fleurir les CHU et l’ensemble des hôpitaux dans les années 60, qui a ouvert et financé le progrès médical dans son ensemble. Les salaires de l’ensemble des soignants sont payés (dans le public comme dans le privé « conventionné »), non pas par l’appareil d’État mais par le pactole de la cotisation. Et l’appareil d’État n’est pas censé « gérer » ces sommes énormes car il est produit par le travail. Donc, ceux qui travaillent.

A l’origine de la création de la Caisse Unique, ces sommes sont réunies justement pour ne pas être à la main des gouvernements mais pour permettre au secteur de la médecine de pouvoir progresser en faveur des populations de l’ensemble du territoire, indépendamment des intérêts particuliers ou corporatistes. Et là aussi, on connaît la chanson : plafonnement des cotisation, main mise progressive des gouvernements sur la gestion de ce pactole par la création d’organismes de tutelles (ordonnance de 1967 créant la CNAMTS, ordonnance de 1996 renforçant la tutelle sur les CPAM, la CRAM, création de l’ONDAM, création en 2010 des ARS etc.). Ou comment déposséder la population de ce qu’elle finance directement par son travail en s’immisçant comme tiers gestionnaire et décideur des grandes orientations en matière de santé.

Ce braquage historique étant complété par la nomination de directeurs d’hôpitaux purement administrateurs dans les années 80. La désormais fameuse école de Rennes formant une flopée de directeurs d’hôpitaux, incompétents quant aux besoins et aux décisions d’ordre médical mais gestionnaires avisés en matière d’économies, aux ordres du ministère de la santé. Les comités mixtes paritaires remplacés par des conseils de surveillance… La liste est longue des décisions politiques qui ont présidé à la « modernisation » de la médecine pour veiller à ce qu’elle soit rentable. Rentable pour qui ? Là est la question qui explique l’importance des enjeux actuels. Aux progrès énormes de la médecine jusque dans les années 90, s’est substituée, par le biais de mesures managériales, une paupérisation croissante de la médecine hospitalière et générale. En termes sportifs, on peut maintenant dire que l’essai n’a pas été transformé et que la bifurcation opérée dans la politique de soins générale est le résultat d’un véritable détournement de fonds.


Les études en médecine forment dorénavant trois types de médecins : les spécialistes reconnus ; les généralistes censés traiter le plus grand nombre de maux communs seuls dans leur coin; les cancres qui échouent en psychiatrie. Seuls surnagent dans cette misère médicale quelques vieux praticiens et quelques passionnés qui prennent l’art médical pour ce qu’il est, une vocation au service du commun.
De cette tradition clinique sur laquelle repose en grande partie l’expérience médicale, il ne reste qu’un compte rendu truffé de fautes d’orthographes et souvent d’assertions fausses qui fait office de note de service que plus aucun « confrère » auquel on est renvoyé ne se donne la peine de vérifier ou de questionner.

Curieuse conception de la clinique qui passe à peine par une observation directe et surtout pas par des questions personnalisées qui permettraient de situer le patient dans une classe sociale, dans une culture, dans un rapport au mal et à la maladie. La situation du patient, on s’en fout. Dorénavant, il s’agit d’interpréter les images ou les taux moyens d’analyse. Si l’image est normale, si le taux est dans la moyenne, vous n’avez rien, quelque soit les maux que vous exprimez. Et ce n’est pas la consultation à proprement parler qui épaissira ce réel en fuite.

Il est désormais bien rare qu’on se fasse palper ou prendre la tension chez un médecin, spécialiste ou généraliste. Le diagnostic ne s’appuie plus que sur les moyens technologiques et sur les analyses certifiées par les laboratoires (eux aussi certifiés), le tout géré par l’Agence Régionale des Soins. Cette agence de Restriction des Soins date de 2010 et est donc l’aboutissement d’un processus d’étroite gestion de la santé, par le ministère du même nom, qui, à défaut de mettre la main sur la caisse énorme représentée par les cotisations socialisées par le monde du travail, a enfin obtenu le droit de gérer cette caisse via ses officines de province.


Le généraliste vous envoie donc faire une prise de sang, éventuellement si vous insistez, une sérologie de lyme (Elisa). Si cette première sérologie est positive (supérieure à un taux moyen défini par des critères de rareté de la maladie), on demande confirmation à un autre test (western blot) qui n’est remboursé que si le premier test est positif. Le hic était jusqu’à présent de trouver le second test à un prix honnête et un laboratoire le pratiquant, mais passons, il se généralise et n’étant plus exotique, son prix se démocratise. Ces deux tests relèvent un taux d’anticorps dans votre sang et prennent cette mesure pour la preuve de votre infection ou non. Si vous êtes en dessous du taux moyen, vous avez rencontré la maladie mais elle n’est plus active. Parfois, vos symptômes persistent… Mais vos anticorps sont bas : en fait, vous n’êtes pas malade mais vous l’ignorez car comme tout travailleur, vous êtes un potentiel simulateur. La science médicale en est certaine car à défaut d’anamnèse, de consultation clinique et de diagnostic, elle psychologise. Les classes n’existent pas mais il n’est pas rare que ceux qui travaillent simulent la maladie dans l’espoir d’en faire le moins possible… Vous n’aviez qu’à choisir un métier passionnant, comme la médecine.


Évidemment, n’importe quel vétérinaire est capable d’expliquer pourquoi dans le cas d’infection bactérienne installée depuis plus de 6 mois, il faut avoir recours à d’autres types de tests, type PCR. Les bactéries sont des bêtes, elles ont des stratégies, elles se logent ici plutôt qu’ailleurs et ne sont pas toujours détectables dans le sang circulant. Certains bactériologistes ont même découvert le rapport entre les affections bactériennes installées et les problèmes d’immunité, et ce depuis un certain temps, puisque des médecins formés « à l’ancienne » font encore la corrélation « naturellement ». Et puis, quelques scandales sanitaires comme le SIDA les ont aidés, voire formés.


Une pratique collégiale de la médecine suppose évidemment d’avoir conscience de travailler en équipe : équipes de soignants à l’échelle d’un service, voire d’un hôpital ; équipes de médecins comprenant spécialistes et généralistes, personnel en formation ; gestion des budgets, des coûts, des tâches administratives communes ; objectifs en matière de recherche médicale, de formation, d’accueil, de gestion des emplois du temps… Un service est une équipe, mandarin ou pas. Sans passeur de bistouri, pas de chirurgie. Sans panseuse, sans infirmière, sans femme de ménage, sans secrétaire, pas de service qui fonctionne intelligemment, c’est à dire collectivement.


Il est temps de repenser l’organisation du secteur de la santé financé pour la plus grosse part via une seule et même manne financière : la Sécurité Sociale, bien commun de tous les travailleurs du pays. Faut-il détecter une maladie de Lyme lorsqu’elle en est encore à son stade primaire, lorsque son coût est de quelques grammes d’amoxycilline générique moyennant une consultation bien menée ? Ou faut-il attendre que l’affection devienne chronique, qu’elle soit décrétée relever (à tort) d’un secteur spécialisé avec dépassement d’honoraires, qu’elle fournisse une rente aux laboratoires pharmaceutiques qui inondent de leurs « trouvailles » brevetées (et donc monopolisées) les secteurs de la neurologie, de la cardiologie, de la rhumatologie, de la psychiatrie ? Ou qui décident de commercialiser des auto-tests, fondés sur les mêmes marqueurs que l’Elisa… Et quid des patients errants en mal de soins, obligés d’arrêter leur travail sans statut de remplacement, sans salaire, sans indemnisation et parfois sans entourage à force de dépression ou de séquelles neurologiques ?

Si la dépression et les séquelles neurologiques sont bien liées à l’activité de la borréliose de Lyme, à fortiori dans sa forme chronique, le reste des conséquences tiennent à elles seules à l’incapacité des Agences de Restriction des Soins à faire leur boulot correctement. Celles-ci ne sont pas simplement des « préfectures » de la santé puisqu’elles sont censées également faire remonter jusqu’au ministère les nécessités vécues dans les régions. Et bien sûr à le faire dans le respect des travailleurs qui lui fournissent sa sinécure. Mais elle n’a pas été créée pour ça.


Quelques médecins se groupent donc pour se pencher sur les conséquences de la forme chronique de cette maladie. Ils se passionnent, ils réclament des moyens humains et matériels pour ne serait-ce que faire en sorte de pouvoir recevoir en consultation. Certains ne peuvent même plus inscrire sur liste d’attente tellement celle-ci est longue. Ce qui n’empêche pas la Dépêche (qui « renseigne vite et bien ») de faire sa première page sur les nouveaux crédits alloués au service de médecine interne de Lannemezan : un seul spécialiste de la borréliose chronique pour s’occuper de tout le bassin pyrénéen où la bactérie visiblement pullule. Un plan national est décrété par l’ex-ministre de la santé qui nomme comme centres de référence nationaux les chefs des services d’infectiologie signataires d’un texte qui ne reconnaît justement pas la forme chronique de la maladie.

Les médecins confrontés à leurs patients « lymés », ne trouvant pas d’aide adéquate auprès des sociétés savantes, tentent de mettre au point des stratégies qui reposent sur leur pratique clinique quotidienne. Et sont coincés entre le manque de moyens pour mener des études sérieuses et prolongées (qui devraient être épaulées par des laboratoires de recherche) et les demandes nombreuses et pressantes de leur patientèle, arrivée au bout du rouleau dans leur cabinet après des mois voire des années d’errance médicale. L’ordre des médecins s’insurge contre leurs pratiques non homologuées, les taxant d’exagération voire de charlatanisme. Les sociétés savantes les soupçonnent d’être des victimes frivoles de la mode. Comme si Pasteur avait fait ses découvertes soutenu et épaulé par l’ensemble du corps médical, dans un laboratoire normé… Et puis la mode, parlons en. Il se trouve que depuis les années 70, les campagnes se vident de leurs paysans et se remplissent de néo-ruraux. Les paysans ont toujours travaillé dur et fini avec des pathologies articulaires, entre autres. Les néo-ruraux sont souvent des citadins du tertiaire venus prendre le vert.

Le vert qu’il prenne, ils n’y sont pas culturellement habitués, ils ne s’en méfient pas car depuis les années 70, la nature est bonne. Ils n’ont jamais travaillé avec elle, contre elle, tout contre même…Ils ignorent le travail qui a présidé aux paysages dans lesquels ils circulent. Et ils n’ont pas le même rapport à la médecine, habitués qu’ils sont à être soignés. La maladie de Lyme est effectivement une maladie « à la mode » parce que les habitants des régions touchées ont changé, tout simplement.


On laisse donc le soin aux associations de patients d’arbitrer le conflit entre la science in vitro et la pratique clinique traditionnelle devenue subitement aveugle, car non soumise corps et âme à la magie de l’imagerie. Les syndromes célèbres comme Guillain-Barré, Garcin et autres portent tous des noms de laboratoires ou de radiologues, c’est bien connu. En pesant sur l’un ou l’autre plateau, la communauté de malades devient l’arbitre des décisions majeures qui doivent se prendre au niveau d’une société entière. Et le malade n’a plus le choix qu’entre « la bête sauvage » comme garante des bonnes pratiques ou la société savante qui protège les intérêts corporatistes de tout poil.


Effectivement, il serait plus reposant de se ranger du côté des prescripteurs d’opinion qui édictent le guide des bonnes pratiques du haut de leur poste de manager de la médecine, distribuant les satisfecit autant que les condamnations, mais en ce cas, vous ne serez pas soigné.


Il paraît aberrant de se dire que la prise en compte de vos pathologies tiendra désormais au poids des associations de patients, même si vous aurez alors une chance d’être soigné en vous joignant à la bataille.
Vous pouvez aussi constater que la médecine étant devenue une science positiviste, elle ne dialogue pas avec la société, elle ne parle qu’avec elle-même dans un entre soi mortifère sous les lustres de ses salons, oublieuse de la population industrieuse qui lui a permis de s’offrir son verre soufflé de Murano.
Il est donc temps de lutter contre les accapareurs qui la conduisent droit dans le mur en lui fredonnant des chants de sirènes. Il est temps de réclamer haut et fort un service médical civique, comme contrepartie d’un financement pris sur la bête, le travail. Non seulement parce que ce service est logique, juste, dû, mais aussi parce qu’il est le garant d’une médecine de qualité pour l’ensemble de la population. Sans oublier que ce « service civique » a été l’honneur de la médecine hospitalière française et de ses pionniers.

La liste de ces forçats de la médecine est énorme, n’en déplaise à ceux qui méprisent la médecine « officielle » et qui confondent ce qu’elle est devenue et ce qu’elle a été. Il ne s’agit pas de remplacer une médecine par une autre (non remboursée, faut-il le préciser ?) en discréditant la médecine dite conventionnelle.


Il s’agit de ne pas la laisser être détournée par des mafieux, et de continuer à en prendre soin.

Madame Lyme, ou les symptômes de la médecine malade

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