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Un facho pour le chic, un coco pour le choc ! Lettre ouverte à Julien Rochedy

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Un facho pour le chic, un coco pour le choc ! Lettre ouverte à Julien Rochedy

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Cher Monsieur Rochedy,

Jouissant du compagnonnage inégal de recommandations youtubiques facétieuses, j’ai eu l’immense ennui de visionner votre intervention filmée “Être un « facho » ou périr”.

Impeccablement sapé, coiffé d’une coupe de jeune premier, et arborant une moustache dix-neuvièmiste fort sympathique, vous y tenez un “Éloge de la radicalité” pendant dix minutes et cinquante-cinq secondes. D’abord, mes félicitations à votre figurine de Napoléon qui se pignole allègrement en arrière-plan, tandis que vous enchaînez les banalités vides avec une gravité apollinienne sur un fond de violon synthétique. Voilà sans conteste une performance digne du « surhomme » que vous appelez de vos vœux et de l’ordre nouveau que vous incarnez. En outre, le fait que cette admirable créature de plastique fasse des va et vient si consciencieux au fil de votre discours me paraît le plus bel hommage jamais rendu à la vaste branlette qui vous fait office de logique.

“Il y a deux types d’hommes qui se reconnaissent au premier regard, les homosexuels et les fachos” nous dites-vous. Et comme on vous croit ! On sait combien, chez ceux de votre bord, la sexualité est une affaire sérieuse, obsessionnelle même, à l’égal du physique, qu’il incombe de cultiver afin de se reconnaître entre camarades, et du premier coup d’œil ! On vous conçoit à merveille croiser l’un des vôtres à la FNAC et vous reconnaître communément au “premier regard”. Car là-bas, là où les masses pastorales prennent l’escalator, vous signifiez l’un et l’autre votre révolte contre le monde moderne en prenant virilement l’escalier. On vous imagine alors parfaitement gravir les marches une à une, relever la tête et saisir soudain cet œil fugitif dont vous percez les secrets les plus inavouables. Au carrefour de l’éphémère et de l’instant, éprouvez-vous alors un frisson coupable avant de reprendre votre route, ou oserez-vous étreindre cette ombre fugace et pourtant fraternelle ? Non, ne dites rien! Laissez-nous plutôt à nos hypothèses pendant que votre petit Bonaparte poursuit son oeuvre, au-delà du bien et du mal, sans subir l’insupportable joug de la moindre modération grégaire !

Le sujet de votre causerie du jour ? Bien qu’elle soit assez creuse pour l’essentiel, vous nous dites que l’avenir est radical, appartient aux radicaux, que le “facho” a toujours un temps d’avance sur le « mainstream » idéologique. Dénonçant la droite “bourgeoise”, “pseudo-conservatrice”, vous nous dites encore que le “facho” est d’avant-garde, que les minorités agressives et radicales sont celles qui font les standards de demain, et influencent le futur. Par ailleurs, vous soutenez avec la vigueur d’un œuf cru qu’il ne faut jamais céder face au terme “facho”, mais se l’approprier, que cette intimidation, ce stigmate qui exclut de la bonne société, doit être retourné à votre avantage. Enfin, vous rappelez que vos adversaires gauchistes et postmodernes ne font jamais qu’appliquer à la lettre ce commandement que vous prêtez indûment au malheureux Staline : “Traitez vos adversaires de fascistes ; pendant qu’ils se défendent, ils n’argumentent plus”.

Un brin de paresse en moins vous aurait pourtant poussé à découvrir que cette citation est introuvable ailleurs que sur des tweets de Jean Messiah, des articles de Boulevard Voltaire ou des sites libéralo-libertariens, le tout sans jamais la moindre référence à l’appui. Enfin! C’est Staline, tout est permis, on se lâche, se relâche ! Foin de rigueur pour le tyran Rouge!

Vous dont il a été démontré que vous maîtrisez si mal le solfège philosophique le plus élémentaire, on ose à peine exiger de vous un minimum de rigueur historiographique. Vous gagneriez pourtant en sérieux et perdriez en ridicule si, à l’avenir, vous renonciez à voir l’ombre de Staline s’étendre sur ces campus étasuniens que vous haïssez tant. Il est risible de vous voir répéter comme un perroquet les idées les plus convenues sur l’hégémonie supposée d’un “marxisme culturel” tout puissant. L’ampleur de votre confusion est gigantesque, car vous appliquez cette notion fumeuse à des mouvements hétéroclites qui, si vous vous y intéressiez un minimum, rejettent à la fois l’hégéliano-marxisme et le léninisme classique. Enfin, ne pas voir l’extraordinaire recul théorique et pratique de l’influence marxiste depuis mai 68, c’est ne pas voir l’éléphant dans la salle de bain.

Mais qu’importe tout cela ! Il y a belle lurette que chez vous autres, la “valeur travail” n’est qu’un discours de surface. Prenez donc garde à ce que votre propre public ne soit bientôt plus dupe sur votre compte, cher Monsieur. Car vous êtes tout juste un branleur simplement plus prétentieux et prolixe sur vos prétendues heures de labeurs que les autres, un suiveur de la doxa historiographique qui se monte le choux sur du nietzschéisme de bazar. Vous avez beau jeu de nous citer pêle-mêle Barbey d’Aurevilly, Joseph de Maistre, Baudelaire ou encore Bernanos, vous vivez à crédit de la sueur collectée par ces figures qui parsèment votre imaginaire de dandy. Et puis, sérieusement, des formations et du coaching pour apprendre à être viril ? A être un bonhomme, un vrai, moyennant espèces sonnantes et trébuchantes ? Tout ça pour ça ? C’est pathétique.

Vous êtes un néo-fasciste confus, à la croisée des chemins, et qui ne sait trop encore se décider entre l’Ordre pur, le Marché pur et l’Esthétique pure, trois composantes décisives des recompositions droitardes contemporaines entre lesquelles vous piroguez. L’Etat, vous en voulez certes bien, mais comme appareil, comme instrument de combat contre les migrants (ces proies faciles), les fauteurs de troubles, les masses dangereuses et tout ce qui vous emmerde. Toutefois, vous n’oubliez pas le péril collectiviste, votre dégoût poujadiste à l’endroit du fonctionnaire, des infrastructures prolétariennes et des nationalisations. Aussi, Nietzsche, votre maître à penser, vous rappelle des tréfonds de l’histoire que l’Etat est le plus froid des monstres froids, et même si vous ne poussez pas le vice jusqu’à imiter son exemple, lui qui conchiait l’université en vivant à ses crochets, vous sentez confusément que la libération des énergies est un discours qui vous permettra d’intégrer les cénacles marginaux de la Start-Up Nation. Ne perdez pas espoir. De plus en plus nombreux sont les dîners bourgeois où ramener un “facho”, ça fait chic. Et puis, pour ces milieux-là, quoi qu’il advienne, l’identité et le racialisme, comme sujet de conversation entre le fromage et le dessert, voilà qui sera toujours plus acceptable que l’infâme étatisme totalitaire.

Récapitulons. Vous partagez la nostalgie pour la tradition, le refus de la modernité, l’européisme identitaire, le communautarisme blanc et contre-révolutionnaire, tout comme vous partagez un culte de l’action pour elle-même, à travers une démarche qui soupçonne derrière le moindre effort théorique une manœuvre d’émasculation.

Pour parachever votre élitisme et votre fascination pour un héroïsme abstrait et mystifié, vous publiez “Nietzsche l’actuel”, où l’on voit, en couverture, l’anti-philosophe muni d’un pistolet. Mon premier réflexe fut d’imaginer ce pauvre Friedrich jouer ainsi dans sa chambre au méchant garçon ou au cowboy, le fac-similé en poigne, son strabisme prononcé comme jamais, avant d’être surpris par sa sœur, qui le gronde alors doucement : “Voyons Friedrich, sois raisonnable, tu vas te faire mal ! ”.

Maternelle, elle lui retire alors son jouet et remonte son cache-col, pour le préserver d’un mauvais coup de froid. Au loin, on entend claquer le fouet de Lou Andreas-Salomé et le grand rire de Wagner. Voilà qui achève de plonger notre fébrile dionysiaque dans un abîme sans fond.

Quant à vous, privé de la moindre profondeur, vous n’êtes guidé que par le souhait de choquer le “bourgeois”, d’obtenir sa reconnaissance par le scandale, afin de radicaliser votre base au fur et à mesure où se renforce celle où gravitent quelques gauchistes identitaires en errance idéologique. Vous pensez participer à la grande histoire de France, vous êtes dans la querelle mondaine pure.

Cela étant, veuillez recevoir, cher ennemi de classe, l’expression de ma non-prise au sérieux d’un coming-out fasciste aussi minable que prévisible.

Un facho pour le chic, un coco pour le choc ! Lettre ouverte à Julien Rochedy

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