
« Même si le but visé par cet événement n’était pas encore aujourd’hui atteint, quand bien même la révolution ou la réforme de la constitution d’un peuple aurait finalement échoué, ou bien si, passé un certain laps de temps, tout retombait dans l’ornière précédente (comme le prédisent maintenant certains politiques), cette prophétie philosophique n’en perd pourtant rien de sa force. Car cet événement est trop grand, trop lié aux intérêts de l’humanité et d’une influence trop étendue dans le monde et dans toutes ses parties, pour ne pas devoir être rappelé aux peuples à l’occasion de circonstances favorables et évoqué pour la reprise de nouveaux essais de ce genre. »
Kant, dans le Conflit des facultés, à propos de la Révolution française (1798)
A lire avec quelle gourmandise les médias du grand capital commémorent les 30 ans de la destruction de l’URSS[1]Au premier rang duquel l’inénarrable « Libération », qui s’évertue chaque jour un peu plus à faire œuvre dans le domaine de la soumission à l’idéologie atlantiste : … Continue reading, on se prend d’envie à vouloir leur faire une lettre de réponse digne de celle que les cosaques auraient écrit en 1676 au sultan ottoman, face à ses menaces d’annexion : des insultes fleuries, écrites avec volubilité et joie maligne par ces hommes aux cœurs fiers et indépendants, sublimement retranscrites en peinture par Illia Répine, quelques deux siècles après l’événement[2]Florilège (apocryphe) de ces lettres, mais qui reflètent l’esprit de l’époque : « « À Toi Satan turc, frère et compagnon du Diable maudit, serviteur de Lucifer lui-même, … Continue reading.
Mais à lire la terreur avec laquelle ils écrivent que « l’URSS transpire encore » (sic !), nous serons magnanimes et philosophes, et nous épargnerons nos coups à ces malotrus, qui osent parler des « acquis de 1991 » (lesquels ? Ceux des mafias et des oligarques ? Ou bien ceux des grands trusts occidentaux de l’époque?), et regretter que la liberté « de posséder et d’entreprendre » ne puisse désormais que se faire « (plus ou moins) librement » dans la Russie poutinienne – (d’ailleurs de moins en moins tranquillement poutinienne, et de plus en plus travaillée par ses contradictions internes, en témoignent les récents succès électoraux du KPRF, et la répression qui en a suivie).
Cette terreur saine de la bourgeoisie est finalement extrêmement réjouissante pour toutes les masses populaires et opprimées d’Europe et du monde entier : car jamais ni elle et ni ses plumitifs ne cesseront d’être tourmentés par la lutte des classes et la peur du communisme. Visiblement effrayé, le Dr. Libération diagnostique à la Russie un « totalitarisme de rechute » (le contrecoup d’une thérapie de choc ?) à cause de ce personnage sur-mesure digne d’un méchant d’un film de James Bond – j’ai nommé Vladimir Poutine. Et le pire dans l’histoire pour « Libé », c’est que son principal adversaire n’est autre que… le parti communiste russe, ce KPRF, qui, grimpant de plus en plus dans la société, sonne comme « la promesse d’une cauchemardesque répétition » (le cauchemar pour qui ?).
Nous y sommes : le « cauchemar de la lutte des classes » dont parlait Arendt, et qui empêche la bourgeoisie de dormir tranquillement sur ses deux oreilles ! Si seulement ils savaient que c’est justement la lutte implacable que la grande bourgeoisie mène contre le prolétariat qui empêchent les prolétaires de se reposer tranquillement, ils comprendraient alors que leur cauchemar (le « totalitarisme soviétique[3]Sur l’inanité de cette accusation : https://www.youtube.com/watch?v=_S57l_EgUFQ
https://www.youtube.com/watch?v=hVSMGPw9ijU ») serait en réalité le rêve des autres (un État socialiste fort, souverain, capable d’assurer à tous une existence digne et épanouissante, et à l’abri des soucis matérielles et des accidents de la vie).
Rien ne les arrête plus, puisqu’il est désormais admis dans le journalisme que le « marxisme », dixit un pontifex des Décodex, est une sorte de « complotisme »[4]https://twitter.com/achabus/status/1454507672842260490 (rendez-vous compte, les patrons qui ourdiraient « quelque chose de malveillant » envers leurs salariés ! Alors que tout le monde sait qu’ils ne veulent que leur bien et leur santé).
Laissons donc ces cuistres où ils sont, loin derrière et en panne sur la bande d’arrêt d’urgence de l’autoroute de l’Histoire – et visiblement sans gilet jaune pour les secourir. Ils paniquent, mais le monde a changé en 30 ans. Le rêve libéral-libertaire, soi-disant démocrate et débarrassé du totalitarisme, s’est transformé en farce macabre, fait d’exploitation brutale, d’autoritarisme lâche, et d’impérialisme minable ; une sorte de TPMP éternel, avec Baba, Jean Messiah et Aymeric Caron comme animateurs permanents – mais avec le bruit du fouet qui claque en fond sonore pour faire trimer la main-d’œuvre.
Mais comme le disait merveilleusement bien le vieux Kant, au lendemain de Thermidor, parlant de la Révolution française : « un tel événement dans l’Histoire de l’humanité ne s’oublie plus ». De même, la Révolution d’Octobre, et la construction effective du socialisme qui en a suivi, ne s’oublieront plus dans l’humanité, et ne manqueront pas d’être rappelées à la mémoire collective à chaque fois que de nouvelles tentatives en ce sens resurgiront. Car cet événement est trop grand par lui-même, et il a révélé dans l’espèce humaine cette capacité effective à dépasser le mode de production capitaliste, qui devient chaque jour de plus en plus criminel, et de plus en plus minable.
De ce rêve brisé du libéralisme-libertaire, le néo-fascisme tente de faire son nid, et de prendre la place de celui qui l’a engendré. Gageons que dans les prochaines années, les travailleurs du monde entier sauront lui faire face comme il se doit, et le renvoyer au néant dont il est sorti, néant qui n’est que le reflet de son essence.
Nous avions écrit, au début de la pandémie, il y a plus d’un an et demi, que la chute du mur de Berlin trouvait peut-être sa revanche dans cette crise économique covidée du capitalisme[5]http://jrcf.over-blog.org/2020/04/la-chute-du-mur-de-berlin-acte-ii-introduction.html. Nous n’en changerions pas une ligne, ou presque, si nous devions le réécrire aujourd’hui. Jamais le capitalisme n’a semblé si acculé, et les régimes dits « libéraux » si proches de s’effondrer sur eux-mêmes. Sur ce qui en jaillira, nul ne peut s’avancer, même si l’article d’alors tentait alors d’en donner des pistes. Car le communisme n’est pas une « perspective Nevski », du nom de cette longue avenue droite de Léningrad. Non, il est un chemin en spirale, et fondamentalement tortueux. Le communisme ne sera pas pour demain, et la révolution non plus d’ailleurs, mais déjà, dans la faillite conjointe du libéralisme-libertaire et de l’essoufflement du néo-fascisme, on voit poindre le modèle qui le remplacera : l’État social fort, et souverain[6]Pour plus dé détails : http://jrcf.over-blog.org/2020/04/la-chute-du-mur-de-berlin-acte-ii-que-faire.html. Aux communistes de faire en sorte qu’il soit la première marche vers la renaissance de la construction du socialisme réel.
Alors, en ce triste anniversaire symbolique de la destruction de l’URSS, plaçons-nous résolument dans le camp de ceux qui pensent que non seulement il ne fallait pas jeter le bébé avec l’eau du bain, mais que même l’eau de ce bain avait quelque chose de défendable. Qu’en a-t-il résulté pour les peuples du monde entier de cette destruction – à part la mort, la guerre, la misère et la précarisation pour tous ? Peut-t-on citer un seul effet positif concret sur les masses internationales de cet événement calamiteux ? Aucun : des sociétés entières ont été disloquées et balayées à l’Est, des mondes de savoir et de culture ont disparu, les peuples du Tiers-monde ont subi les pires guerres impérialistes et la rapacité des grands Trusts, et les masses d’Occident ont appris qu’elles devaient leur protection sociale et leur code du travail à la puissance de l’Armée Rouge, bien plus qu’à une « union de la gauche » fantoche.
Si le socialisme réel s’est effondré, ce fut en partie[7]Sur cette question difficile, le lecteur peut courir les yeux fermés sur ce passionnant ouvrage des historiens Keran & Kenny, Le socialisme trahi, publié aux éditions Delga en 2012 parce que les révolutions communistes avaient eu lieu dans des pays qui n’avaient que peu connu le capitalisme pur en tant que tel : la Russie tsariste avait à peine commencé son industrialisation au moment de la Révolution d’Octobre, la Chine de 1949 ne l’avait même pas entamée, et les autres pays pro-soviétiques subissaient surtout le joug du colonialisme avant de passer au socialisme. Ces masses avaient des raisons de haïr le capitalisme, mais surtout parce qu’il était impérialiste et colonialiste. On leur avait appris à haïr le capitalisme, mais ce savoir était abstrait, formel, et ne reposait pas sur une masse d’expériences vécues dans sa chair. Au fond, il y avait toujours le fantasme pour ces masses d’accéder aux milles merveilles que leur promettait le capitalisme, à une véritable abondance pour tous dans une « société de la consommation » fantasmée. Depuis 1991, ces masses ont appris, et savent ce qu’il en est de la réalité des promesses d’accéder à l’abondance capitaliste : le capitalisme, c’est la misère pour le plus grand nombre, et la démesure pour quelques uns, avec le hasard pour seul arbitre[8]Sur la réalité vécue de ce passage du socialisme au capitalisme, on consultera avec profit ce petit ouvrage du grand Henri Alleg : Le grand bond en arrière, éd. Delga, 2011. Plus personne ne les dupera avec des mensonges et des illusions sur une vie plus belle, et plus facile grâce à la « liberté », et à la « démocratie » (à coup de canons bien sûr). L’Histoire a progressé, même si c’est de façon douloureuse, et elle n’offre plus beaucoup d’alternatives, si ce n’est le dur chemin vers le socialisme, à travers la dictature de classe de la majorité.
Il y a donc 30 ans exactement que l’hymne soviétique a résonné pour la dernière fois sur la télévision d’État soviétique, enterré par le traître Gorbatchev – qui devrait être jugé pour crimes contre son peuple par un Tribunal Pénal International comme il le mérite –, fermant par là la première grande expérience socialiste de l’Histoire. Mais son souvenir n’est pas mort dans les masses laborieuses et la jeunesse du monde entier. Les damnés de la Terre vivent toujours, et la promesse d’en finir avec les exploiteurs ne saurait manquer de vibrer encore dans leurs cœurs. Nous avons perdu une bataille camarades, mais pas la guerre : sus aux restaurationistes de 1991, qui comme les Bourbons de 1815 pensaient s’asseoir éternellement sur le trône de France, invaincus et repus comme le gros Louis XVIII ! Ils en seront chassés comme Louis-Philippe, petit prince devenu roi de la finance et de la haute-rapine, et nous ne nous reposerons que lorsqu’ils auront déposés les armes, contraints et forcés par les masses.
Car nous serons à tout jamais les Cosaques, fiers et invaincus, et eux les Sultans, repus et lâches dans leurs palais de marbre ; et nous leur crierons toujours, comme Thorez et les siens jadis : « ah, ça ira, ça ira, ça ira… »
References[+]
↑1 | Au premier rang duquel l’inénarrable « Libération », qui s’évertue chaque jour un peu plus à faire œuvre dans le domaine de la soumission à l’idéologie atlantiste : https://www.liberation.fr/international/europe/1991-2021-que-reste-t-il-de-lurss-20211220_3IVIWMFU6FBF7OGV555EXR6BIA/ |
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↑2 | Florilège (apocryphe) de ces lettres, mais qui reflètent l’esprit de l’époque : « « À Toi Satan turc, frère et compagnon du Diable maudit, serviteur de Lucifer lui-même, salut ! […] Toi, le plus grand imbécile malotru du monde et des enfers et devant notre Dieu, crétin, groin de porc, cul d’une jument, sabot de boucher, front pas baptisé ! Voilà ce que les Cosaques ont à te dire, à toi sous-produit d’avorton ! Tu n’es même pas digne d’élever nos porcs. […] Nous n’écrivons pas la date car nous n’avons pas de calendrier, le mois est dans le ciel, l’année est dans un livre et le jour est le même ici que chez toi et pour cela tu peux nous baiser le cul ! » |
↑3 | Sur l’inanité de cette accusation : https://www.youtube.com/watch?v=_S57l_EgUFQ |
↑4 | https://twitter.com/achabus/status/1454507672842260490 |
↑5 | http://jrcf.over-blog.org/2020/04/la-chute-du-mur-de-berlin-acte-ii-introduction.html |
↑6 | Pour plus dé détails : http://jrcf.over-blog.org/2020/04/la-chute-du-mur-de-berlin-acte-ii-que-faire.html |
↑7 | Sur cette question difficile, le lecteur peut courir les yeux fermés sur ce passionnant ouvrage des historiens Keran & Kenny, Le socialisme trahi, publié aux éditions Delga en 2012 |
↑8 | Sur la réalité vécue de ce passage du socialisme au capitalisme, on consultera avec profit ce petit ouvrage du grand Henri Alleg : Le grand bond en arrière, éd. Delga, 2011 |